Les versions de concert oscillent toujours entre deux pôles opposés. D’un côté, le fait d’être affranchi des contraintes de la mise en scène et des costumes peut libérer certains chanteurs qui dès lors vont se concentrer sur la partition. De l’autre, n’étant plus portés par l’action, d’autres perdront en spontanéité et malgré quelques gestes et mouvements esquissés, auront du mal à construire leur personnage. Ce soir, les choses sont encore compliquées par plusieurs facteurs. L’acoustique de la salle Cortot a toujours été reconnue comme admirable, instrumentalement pour la musique de chambre, et côté vocal pour la mélodie et peut-être pour Pelléas, mais pas forcément pour les grands rôles chantés à pleine voix. Et puis là où l’on attendait un filage complet, la suppression de plusieurs rôles, de parties musicales et la réduction du nombre d’instrumentistes ne laisse pas de surprendre. D’autant que la structure même d’un opéra ménage aux premiers rôles des plages de repos vocal qui disparaissent lorsqu’il y a des coupures et peuvent entraîner une fatigue vocale supplémentaire.
De fait, répondront les organisateurs, l’association loi 1901 VociHARMONIE a pour vocation de faire la promotion de jeunes chanteurs et musiciens professionnels, et de mettre à la portée du plus grand nombre les œuvres importantes du passé. Il était d’ailleurs prévu un récitant-narrateur qui finalement n’est pas intervenu, ce qui est certainement une bonne chose. En revanche l’absence de certains moments musicaux, comme le prélude du dernier acte, brouille l’action en la réduisant considérablement, ce qui ne doit pas aider le néophyte à s’y retrouver. Enfin, les harmonies délicates composées par Massenet sont quasi absentes, malgré le talent des quatre musiciens, et tout particulièrement de Jean-Michel Kim au piano, placés sous la direction efficace de Philippe Hui. N’aurait-il pas fallu prévoir, à tout le moins, un second violon ?
Aurore Daubrun et Daniel Gàlvez-Vallejo © Photo Jean-Marcel Humbert
Le rôle-titre est tenu par Daniel Gàlvez-Vallejo. En dehors des qualités musicales de l’interprète, dont la technique vocale est parfaite, le personnage dévie forcément vers l’homme mur amoureux d’une jeune femme, d’autant que le timbre de la voix a une assise barytonante grandissante qui se rapproche de la version pour baryton créée par Massenet au début du XXe siècle pour Mattia Battistini. Et si les notes aigues sont bien là et magnifiques, elles sont toutes données en force. Pas de voix de tête ni de raffinements à la Vanzo ou Kraus, rien donc ici d’élégiaque, la caractérisation du personnage s’en ressent, qui est souvent torturé de façon très sonore…
La Charlotte d’Aurore Daubrun est forcément tributaire de son partenaire, et si elle a tous les atouts indispensables – beau mezzo, voix chaude et expressive, puissance –, elle campe un personnage dur essayant de se sortir d’une situation inextricable. Après tout, pourquoi pas ? Mais on a été plus habitués à une Charlotte parfois autoritaire, mais toujours maternelle et toute de douceur. On retrouve plus de tradition avec la Sophie de Clémence Olivier, absolument parfaite dans ce rôle où elle déploie sans effort son joli soprano et sa joie de chanter, et avec Tristan Poirier qui n’innove pas non plus dans le rôle un peu formaté d’Albert. À noter la jolie intervention de Nathalie Rougon et Julie Lempernesse, montrant avec Clémence Olivier que le fameux « Noël Noël Noël » peut gagner en musicalité et perdre son côté un peu horripilant.