Pour monter cette Cendrillon, Laurent Pelly s’est évidemment souvenu des contes de fées, dont la formule incontournable figure inscrite sur les murs du décor que le spectateur découvre en entrant dans la salle. Certes, l’opéra de Massenet ajoute à Perrault quantité d’éléments, mais on y retrouve la trame essentielle et la fameuse pantoufle de verre (ou de vair, selon les versions). Depuis sa création à Santa Fe en 2006, ce spectacle s’est beaucoup promené, on l’a vu plusieurs fois ces derniers temps (Londres, Bruxelles) et on le verra encore au moins une fois (Barcelone en 2013 ou 2014), sans oublier la parution récente du DVD sur lequel on reviendra prochainement ici-même. Il est donc permis au spectateur voyageur de comparer les différentes versions de cette Cendrillon dont la distribution est ici entièrement renouvelée. L’on pourra aussi s’amuser à comparer ce spectacle avec celui que l’Opéra-Comique avait proposé en mars 2011 et qui sera repris en novembre prochain à Saint-Etienne dans le cadre de la Biennale Massenet.
De toute évidence, si l’on songe à la version toute nostalgique de Benjamin Lazar, la Cendrillon de Pelly veut avant tout divertir le spectateur. Les aspects comiques de l’œuvre sont clairement mis en avant, et le metteur en scène rend même amusant ce qui n’était pas prévu pour l’être : la Fée devient ainsi un personnage comique, à qui ses esprits désobéissent. La poésie a néanmoins sa place, avec par exemple la multiplication des Cendrillon qui accompagne le glissement de l’intrigue dans la féerie. Les scènes à la cour sont franchement hilarantes, notamment grâce aux invraisemblables costumes qu’arborent les princesses.
Vocalement, la distribution est largement francophone, avec deux exceptions majeures. L’Opéra de Lille a fait le choix d’une Cendrillon mezzo, et Renata Pokupic a beaucoup progressé depuis son Anna des Troyens au Châtelet il y a près de dix ans. La diction est excellente, le personnage est vigoureusement campé, et la métamorphose de la bonniche en Audrey Hepburn est convaincante. Seuls certains aigus semblent poser problème à la chanteuse croate, mais cela tient à la tessiture hybride pour laquelle Massenet a écrit le rôle. Kathleen Kim est une excellente Fée, avec sa dégaine qui rappelle Delphine Seyrig dans le Peau d’Ane de Jacques Demy (les laquais au visage rouge comme leur livrée semblent tirés du même film). Son agilité vocale, son timbre et son style conviennent idéalement pour le personnage que la « Pelly touch » arrache à toute nunucherie.
Quel bonheur de retrouver dans le rôle du Prince la toujours délicieuse Gaëlle Arquez ! Admirable en Iphise dans Dardanus, exquise en Zerlina dans Don Giovanni, elle porte ici admirablement le travesti et sa voix charnue et expressive fait merveille, autant en solo que dans les duos avec sa partenaire de timbre plus grave (Massenet destinait pourtant Cendrillon à une soprano et le Prince à un « Falcon ou soprano de sentiment (ayant le physique du costume) ». Vaste programme…
Marie-Ange Todorovitch assume à fond le jeu de la caricature, pour une Madame de la Haltière évidemment plus mezzo que contralto. René Schirrer sonne plus baryton que basse chantante, et a la silhouette du rôle, même s’il n’atteint pas les mêmes sommets d’émotion que Laurent Alvaro Salle Favart. Le reste de la distribution semble prendre un vif plaisir à camper toutes ces figures drolatiques, méchantes sœurs, ministres grotesques ou roi désemparé. Le Chœur de l’Opéra de Lille est ici un protagoniste à part entière, chaque choriste incarnant un véritable personnage haut en couleurs.
Seul véritable bémol, la direction souvent trop rapide de Claude Schnitzler. Si le chef sait faire rutiler l’Orchestre national de Lille dans les passages majestueux, pseudo-Grand Siècle où Massenet se livre au jeu du pastiche, il précipite trop les tempos pour qu’on profite toujours bien des plaisanteries du texte, notamment dans l’ensemble du premier acte opposant Madame de la Haltière et ses filles à Pandolfe. C’est aussi à cette vitesse qu’on peut imputer le petit déficit d’émotion du deuxième duo réunissant le Prince et Cendrillon, et les difficultés d’articulation que connaît parfois Renata Pokupic quand le débit s’accélère à l’excès.
L’Opéra de Lille n’en a pas moins réussi son centenaire Massenet – on aimerait en dire autant de toutes les maisons d’opéra en France –, avec un spectacle qui faisait salle comble pour la première, et qui a incontestablement enchanté le public.
Version recommandée (et pour cause, c’est la seule intégrale existant…)
Massenet: Cendrillon – The Sony Opera House | Jules Massenet par Frederica von Stade