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Le Roi Arthus — Strasbourg

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Spectacle
16 mars 2014
Il était grand temps

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Ernest CHAUSSON Le Roi Arthus Drame lyrique en trois actes, livret du compositeur Créé au Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles, le 30 novembre 1903 Mise en scène Keith Warner Décors et costumes David Fielding Lumières John Bishop Genièvre Elisabete Matos Arthus Andrew Schroeder Lancelot Andrew Richards Mordred Bernard Imbert Lyonnel Christophe Mortagne Allan Arnaud Rihard Merlin Nicolas Cavallier Un laboureur Jérémy Duffau Choeurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre symphonique de Mulhouse Direction musicale Jacques Lacombe Opéra de Strasbourg, 16 mars 2014, 15h

 

Oui, vraiment, il était grand temps que l’on réentende en France l’unique œuvre lyrique d’Ernest Chausson, que seul avait jusqu’ici osé l’opéra de Montpellier en 1997. Pour le centenaire de la création en 2003, Bruxelles avait accompli son devoir de mémoire en remontant Le Roi Arthus mais, depuis, plus rien en territoire francophone. Merci donc à l’Opéra du Rhin d’avoir eu ce courage d’explorer des chemins moins rebattu, après la première française de Der Ferne Klang en 2012. Hélas, s’il était grand temps, c’est aussi parce que nos oreilles et nos yeux auraient sans doute été moins indulgents si cette production était venue après celle que nous livrera l’Opéra Bastille en mai-juin 2015 avec une distribution extrêmement prometteuse. En effet, ce que l’on a vu et entendu à Strasbourg ne relève malheureusement pas de l’enchantement complet.

Il était plus que temps de monter Le Roi Arthus, mais il était peut-être déjà trop tard pour confier Genièvre à Elisabete Matos. Même sans savoir à quoi ressemblait la voix de Jeanne Paquot-d’Assy, la Brünnhilde bruxelloise qui créa le rôle (et qui enregistra le dernier air de Lakmé pour Zonophone en 1902), on peut supposer que la fréquentation des rôles wagnériens n’a pas eu que des conséquences positives pour la voix de la soprano portugaise, dont le vibrato très large désarçonne d’abord, avant qu’on finisse par s’y habituer plus ou moins. Malgré un déferlement de décibels assez admirable, c’est à une Genièvre virago qu’on a ici affaire, ce qui ne contribue pas à rendre le personnage sympathique. Est-ce au temps qu’il faut attribuer les innombrables accidents dont fut émaillé le parcours d’Andrew Richards en Lancelot ? Aucune annonce préalable n’ayant signalé d’indisposition chez le ténor américain, force est de supposer qu’il ne trouve pas dans cette partition un terrain idéal, avec des aigus trop souvent glapis et des sons désagréables. Heureusement, il y avait Andrew Schroeder, au français impeccable – on ne peut en dire autant de son compatriote précédemment évoqué –, au phrasé toujours juste, mais auquel manque seulement un soupçon de puissance vocale pour imposer davantage son roi. Son duo avec l’excellent Merlin de Nicolas Cavallier reste un des grands moments de la soirée, à condition de fermer les yeux, on y reviendra. En Lyonnel, Christophe Mortagne ne trouve pas à s’épanouir comme dans les rôles de caractère dont il est un interprète précieux. Les chœurs de l’Opéra du Rhin, contraints de forcer le volume au premier acte, comme l’exige la partition, révèlent une autre facette de leur talent à la fin de l’œuvre, même si les cinq chanteuses tirées du pupitre de sopranos semblent avoir bien du mal à venir à bout des longues notes tenues qu’impose l’apothéose finale d’Arthus. Après un démarrage un peu difficile, pour une ouverture qui manque d’aura et de mystère, l’Orchestre de Mulhouse se rattrape tout à fait, avec notamment de beaux solos au début des actes II et III ; pour sa première venue à l’Opéra du Rhin, Jacques Lacombe tire le meilleur de la formation placée sous sa baguette.

 

Il est sans doute temps, enfin, que Strasbourg songe à inviter d’autres metteurs en scène que Keith Warner, dont le Tannhäuser n’avait guère convaincu au cours de la saison précédente. Dans sa production du Roi Arthus, on apprend que la Première Guerre mondiale a éclaté parce que la reine (une rousse, sans doute parente de la Vénus de l’an dernier) couchait avec Buckingham (un Lancelot tout de noir vêtu et à la longue crinière), ce qui n’a pas vraiment ravi le maréchal Joffre (Arthus arborant képi, uniforme et guêtres, avant sa transfiguration finale en chevalier médiéval) : nous sommes en effet en 1914, la quête du Graal est remplacée par les élans patriotiques de la Troisième République et les bardes ont des allures de Monet et de Pissarro octogénaires. Si l’on peut admettre cette transposition, comment en revanche accepter des jeux de scène dont le seul but semble être de tourner en dérision l’intrigue et les personnages ? Etait-il nécessaire que Merlin jongle avec des pommes ? Keith Warner déclare avoir voulu un jeu d’acteur au style « absolument strict, contenu, serré » : on ne s’en douterait pas en voyant certains gestes particulièrement ridicules, comme le tournoiement de derviche auquel se livre Genièvre lorsqu’elle dit vouloir être unie « éternellement » à Lancelot, ou le duel particulièrement mal réglé entre Lancelot et Mordred à la fin du premier acte, et mieux vaut passer sous silence le suicide de la reine, la pauvre Elisabete Matos ayant passé une partie de l’acte à se débattre avec des tresses dignes de Mélisande tombées beaucoup trop tôt de son chignon.

Il était temps qu’on nous montre Le Roi Arthus, mais l’heure des réjouissances n’a pas encore sonné.

 

 

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