Neuf ans après le festival d’Ambronay, où Leonardo Garcia Alarcón révélait ce chef d’oeuvre d’un compositeur calabrais du XVIIe siècle, Michelangelo Falvetti, l’ouvrage arrive à Dijon. Il diluvio universale a maintenant fait le tour du monde. Entre-temps, un superbe Nabucco (Entrons, entrons dans la fournaise) l’avait précédé, en 2017.
Sans doute l’une des toutes premières œuvres musicales à traiter de cet épisode biblique, après Carissimi, avant Elisabeth Jacquet de la Guerre, Donizetti, Saint-Saëns, Stravinsky et Hugues Dufourt, l’ouvrage comporte quatre parties : au ciel, sur terre, le déluge, l’arche et la réconciliation, avec une succession de séquences brèves. La variété des procédés, des couleurs et des caractères, des effectifs autorise un déroulement quasi cinématographique de l’action : l’attention est toujours sollicitée pour une émotion renouvelée. La conception du livret est très aboutie : Noé et et sa femme, personnages centraux, n’apparaissent qu’à la deuxième partie, comme si la première n’était qu’un riche prologue précédant les trois actes. Evidemment, tous les acteurs sont convoqués : Noé, Dieu, Rad (nom donné ici à la femme de Noé), le peuple, la Mort, les Eléments, la Nature humaine. Oubliée la référence au madrigal dramatique, nous sommes de plain-pied dans l’oratorio. En effet, les six portées du manuscrit, dépourvues de destination instrumentale sont magnifiées par Leonardo Garcia Alarcón. Outre un riche continuo, aux cordes s’ajoutent les instruments à embouchure (cornets, sacqueboutes, qui changent au gré des scènes) sans oublier la flûte à bec. Mentionnons aussi la participation de Keyvan Chemirani et de ses percussions orientales, nous rappelant combien toutes les influences marquèrent cette région méditerranéenne. La mise en espace, bienvenue, participe à la compréhension de l’ouvrage. Elle repose essentiellement sur les lumières, dont l’intensité, la direction et les couleurs sont judicieusement choisies ; sur les déplacements, depuis la salle, des coulisses ou du fond de scène ; enfin, sur la direction d’acteur, tout particulièrement du couple Noé-Rad.
L’interprétation a mûri depuis la révélation d’Ambronay, en 2010 et l’enregistrement de l’année suivante. L’orchestre et les chœurs se sont renouvelés comme il se doit. La distribution a connu quelques changements. Si Mariana Flores, plus éblouissante que jamais, campe une formidable Rad, profondément éprise de Noé et soumise à la volonté divine, son mari n’est plus incarné par Fernando Guimaraes, mais par Valerio Contaldo. Leurs duos (« Il gran Dio di pietà », « De’ tuoi voleri » de la 2ème partie, « Placati Dio du bonta » et « Ecco l’Iride paciera » au finale) sont des sommets. Les voix s’accordent à merveille, sonores, caressantes, colorées, longues. Dieu, auquel manque ce soir un soupçon d’autorité dramatique et vocale, est toujours Matteo Bellotto. A Magali Arnault succède Julie Roset dans la traduction volubile de l’Eau. Sa fraîcheur, la fluidité de son chant, orné de vocalises spectaculaires, servi par un timbre cristallin, séduisent. De même, la Justice divine nous fait apprécier Anthea Pichanick (c’était Evelyn Ramirez Munoz à Ambronay). Si la couleur est moins cuivrée que celle de la créatrice, la voix est splendide, articulée, agile, virtuose dans ses traits, projetée à souhait. Son « Cedi Pietà », qui ouvre l’ouvrage, est servi remarquablement. La Mort demeure, incarnée par le surprenant Fabian Schofrin. Personnage bouffe, encapuchonné de noir, brandissant sa faux, chantant en falsetto le plus souvent, particulièrement une tarentelle jubilatoire, endiablée, rythmée par son tambourin. Si la voix, délibérément contrefaite, n’est pas grande, ce n’est pas une faiblesse dans cet emploi, où il se montre crédible. Caroline Weynants, altière, demeure pour chanter l’Air et la Nature humaine. En petite forme ce soir, le medium et les graves de ses deux airs du Déluge – « La morte ingoio » où elle répond à la Mort, et « Ahi perduta Innocenza » – font défaut.
L’œuvre est concise (75 minutes), jamais bavarde, et l’attention constante. La page la plus spectaculaire est certainement celle de l’engloutissement de l’humanité, traduite par un gigantesque fracas, glissando incertain jusqu’à l’anéantissement, sans résolution. Le chœur conclusif « Or se tra sacre Olive il sol verace », d’une sérénité lumineuse, efface les terreurs anticipant le déluge que les chanteurs avaient si magnifiquement traduites dans la partie précédente.
Quitte à plagier Sylvain Fort, qui avait apprécié le CD, nous écrirons que l’auditeur quitte la salle comblé, après deux bis empruntés à la partition (Leonardo García Alarcón prêtant sa voix au dernier), avec « un goût de Paradis ».