Venue de Genève où elle a été créée en 2010, cette production du Barbier de Séville permet au jeune Damiano Michieletto de faire des débuts éclatants à l’Opéra de Paris. En effet, qu’un metteur en scène et son équipe soient accueillis par une ovation unanime un soir de première dans la capitale est un fait suffisamment rare pour être signalé. Michieletto situe l’action de nos jours dans une ville d’Espagne. Le décor de Paolo Fantin représente un groupe de façades d’immeubles dont celui de Bartolo qui se trouve au centre, pivote de manière à nous montrer l’intérieur des appartements, la cage d’escalier et la loge du gardien. Au rez-de-chaussée, côté jardin, un bar à tapas, au centre la voiture d’Almaviva garée le long du trottoir. A travers les fenêtres sans rideau, on aperçoit les occupants se livrer à diverses activités, un peu comme dans le film Fenêtre sur cour, au point que par moment, on ne sait plus où donner du regard. Mais ce n’est pas la seule référence cinématographique qu’évoque cette production : de nombreux gags visuels semblent tout droit sortis des films de Charlot ou des Marx Brothers, quant au metteur en scène il confie dans une interview à la revue En Scène qu’il a été influencé par l’univers de Pedro Almodovar. De fait, la direction d’acteurs, d’une redoutable précision, ne laisse pas un seul personnage livré à lui-même : Michieletto, qui semble avoir une idée nouvelle par minute, entraine tous les protagonistes dans un tourbillon de folie incessant qui va crescendo jusqu’au final ébouriffant du premier acte. Le second acte semble plus sage, non que Michieletto soit en panne d’inspiration, mais l’effet de surprise passé, certains gags sont attendus et le final est moins spectaculaire. Cette petite réserve cependant ne saurait entamer la réussite magistrale de cette production jubilatoire qui vaut à elle seule le détour.
A la virtuosité du metteur en scène, répond celle du chef. Sachant doser les effets, Carlo Montanaro dirige l’ouvrage de main de maître avec un art consommé du crescendo rossinien et un sens aigu du théâtre qui fait merveille, notamment durant le final du premier acte pris à un tempo d’enfer, dans lequel le chœur tire habilement son épingle du jeu.
C’est un plateau vocal tout à fait homogène qui a été réuni pour la circonstance : Dalibor Jenis qui avait été en 2002 le premier Figaro de la production de Coline Serreau n’a rien perdu de sa prestance, la voix est saine et bien projetée, l’aigu percutant et son personnage a gagné en subtilité. La Rosine de Karine Deshayes est également bien connue du public parisien, la cantatrice ayant interprété le rôle au cours des trois dernières reprises de l’ouvrage. La technique est toujours aussi souveraine et le registre aigu a gagné en aisance et en volume. La mezzo-soprano s’intègre parfaitement à l’univers de Michieletto qui fait de son personnage une adolescente espiègle et insouciante. Avec ses écouteurs dans les oreilles, elle court, monte et descend continuellement les escaliers, tour à tour mutine avec Figaro, tendre avec Almaviva et boudeuse face à son tuteur. Celui-ci est interprété par Carlo Lepore, grand habitué du Festival de Pesaro où il excelle dans les rôles de basses rossiniennes. Son Bartolo truculent et sonore, capable de vocaliser avec une vélocité époustouflante dans son air « A un dottor della mia sorte » lui vaut au salut final, un succès personnel bien mérité pour ses débuts à l’Opéra.
René Barbera confirme la bonne impression qu’il avait laissée la saison dernière dans I Puritani. Son Lindoro jovial et facétieux ne manque pas de séduction vocale : le timbre est brillant et le style impeccable. On aurait pourtant souhaité que les vocalises de son air d’entrée soient exécutées avec davantage de netteté, mais l’acteur est sympathique et témoigne d’une aisance scénique et d’un sens de la comédie réjouissants. Dommage qu’il n’ai pas osé se lancer dans l’air final « Cessa di più resistere » dont Antonino Siragusa avait livré ici même une interprétation mémorable et qui fait, il faut bien le dire, cruellement défaut. Le timbre d’Orlin Anastassov n’a plus tout à fait la splendeur d’autrefois mais il parvient à incarner un Basilio tout à fait en situation « Les « colpo di cannone » de sa « calunnia » résonnent de façon impressionnante. Cigarette au bec et bouteille de vin à la main, Cornelia Oncioiu campe une Berta atypique et omniprésente, tant sont nombreux les jeux de scènes qui lui sont dévolus : au premier acte elle se fait faire une mise en plis par Figaro et au deux, après son air « Che vecchio sospettoso » -chaleureusement applaudi- elle se fait lutiner dans sa chambre par un soupirant rencontré au bar, pendant le dénouement de l’intrigue principale. Tiago Matos dont le timbre clair ne manque pas de séduction et Lucio Prete complètent avec bonheur la distribution.