Quelle bonne idée de mettre en avant les jeunes talents, même si la frontière en termes de jeunesse n’est pas si évidente entre cette deuxième distribution du Barbier de Séville et la première, présentée la veille au public du Théâtre des Champs-Élysées. La mise en scène intelligemment stylisée de Laurent Pelly et la direction musicale capricante de Jérémie Rhorer servent de dénominateur commun aux deux soirées.
L’une, détaillée par Christian Peter dans son compte rendu, brille par l’attention portée au mouvement et au caractère de chaque personnage. Aucun geste ne semble laissé au hasard. Aucun gag n’est trop appuyé. Tout fonctionne et tout bouge en congruence avec la musique et le livret. Résultat : aujourd’hui comme hier, Laurent Pelly au moment des saluts échappe aux huées qui, à Paris ces derniers temps, sanctionnent les metteurs en scène.
L’autre bouscule la partition de Rossini non sans engendrer un certain déséquilibre préjudiciable aux chanteurs et au rythme même de l’ouvrage. La mécanique rossinienne, dont le crescendo basé sur une augmentation graduelle de l’intensité sonore est une des premières manivelles, voudrait moins de sautes d’humeur pour fonctionner à plein régime.
Qu’importe si le moteur parfois tousse, on s’ébat joyeusement le temps d’une représentation dont la jeunesse n’est pas le moindre intérêt. Découvertes et confirmations se disputent mais c’est l’équilibre de la distribution qui prévaut. Réjouissons-nous d’abord de disposer de jeunes artistes qui unissent à l’art du chant celui de la comédie. Tous, sans exception, bougent sur scène comme Nemo dans son aquarium.
© Vincent Pontet
Certains noms, déjà familiers, entérinent la rumeur élogieuse qui depuis peu de temps les précèdent. Puisque la valeur n’attend pas le nombre des années, Elgan Llŷr Thomas embrasse Almaviva dans son entièreté, « Cessa di piu resistere » inclus. Le rondo final, souvent coupé en raison de sa difficulté, consacre l’entrée du chanteur gallois dans le cercle fermé des ténors rossinien. Là comme auparavant, l’agilité n’est jamais prise en défaut bien que le chant, encore trop préoccupé de technique, oublie souvent de se teinter de couleurs et de nuances. Mutine, Alix Le Saux rend à Rosina sa tessiture ronde et chaude de mezzo-soprano. Ni l’aigu, ni l’abattage requis par la virtuosité de l’écriture ne sont des obstacles à une voix à laquelle il faudrait un surcroît de volume pour que la boucle soit bouclée. Figaro bondissant, Guillaume Andrieux apporte à un rôle que l’on réduit trop souvent à son « Largo del factotum » un baryton égal sur la longueur et une bouffée d’impertinence. Dans un air d’entrée en forme de pied de nez comme dans des duos débités à une vitesse étourdissante, celui qui fut une des révélations des Victoires de la musique 2016 « rock ». Venu d’Espagne, après un détour par Pesaro, Pablo Ruiz semble vouloir faire du répertoire rossinien une spécialité. Déclamation syllabique acquise, autodérision assumé : Bartolo en dépit de sa jeunesse est le barbon attendu. Eleonore Pancrazi possède assez de métier et d’esprit pour ne faire qu’une bouchée de Berta même si une voix de soprano demeure préférable en servante enrhumée – question d’équilibre dans les ensembles. Ce n’est pas un hasard si nous avons gardé Guilhem Worms pour la fin. Non que, conformément à l’adage, son Basilio soit le meilleur. L’air de la Calomnie exige un dosage progressif des effets moins évident qu’il n’y paraît, d’autant que la direction ébouriffée de Jérémie Rhorer constitue, là comme ailleurs, un obstacle supplémentaire. Mais diplômé depuis peu du CNSM de Paris, cette basse française, indéniablement douée, est la meilleure illustration de la démarche louable du Théâtre des Champs-Elysées : présenter au public des jeunes chanteurs dont le talent prometteur annonce de belles carrières. Mission accomplie.