Quel est le but affiché d’un festival populaire, sinon de faire découvrir à son public une œuvre dans les meilleures conditions ? Dans ce sens, pari gagné à Avenches cette année encore avec ce Barbier original, que la très grande majorité du public ne connaissait visiblement pas. La rouerie de Rosine, la vivacité d’Almaviva, la duplicité de Figaro et la balourdise de Bartolo ont réjoui au premier degré un auditoire réceptif qui rit de bon cœur à leurs facéties et aux nombreux anachronismes. Car l’astucieuse mise en scène de Marco Carniti est inventive et drôle, et c’est la grande force du spectacle. Alors que l’œuvre relève quasiment du théâtre musical de chambre, et que toute l’action se déroule pratiquement dans une seule pièce, la grandeur du plateau des arènes romaines d’Avenches nécessitait un dispositif scénique d’une tout autre ampleur. C’est ce qu’a fort bien réalisé Emmanuelle Favre en concevant un ensemble à la fois poétique et spectaculaire, un village aux petites maisons luminescentes sur pilotis, transparentes et légères, très joliment éclairées par Henri Merzeau, prenant au fil de l’action mille couleurs appropriées. Tournant sur elles-mêmes, s’unissant et se séparant en un ballet continu de construction et de déconstruction, créant des espaces scéniques de dimensions variées, elles participent ainsi pleinement à l’action, et constituent l’un des plus beaux décors qu’il ait été donné de voir à Avenches. Bel espace donc que ce village, où néanmoins Rosine est enfermée : c’est l’univers du Corbeau, chacun épie et juge son voisin. Et qui plus est lorsqu’Internet intervient et que les tablettes apparaissent au milieu des amusants costumes d’époque revisités par Amélie Reymond, permettant à travers les « réseaux sociaux » toutes les forfaitures imaginables, et notamment la diffusion ultra rapide sous la pression de tous les Basile du monde, de fausses nouvelles et de calomnies horribles.
À côté de ce drame de l’enfermement et de la privation de liberté, tout un univers de dérision et de commedia dell’arte se donne libre cours : Figaro arrivant dans un char bordé de deux énormes ciseaux pendant que des coursiers à vélo lui apportent des rendez-vous ; Bartolo pétrifié dont Figaro utilise les bras dans toutes sortes de positions bouffonnes ; Bartolo toujours, caricaturant le chant de ses partenaires, ou encore Basilio emmené par quatre infirmiers psychiatriques dans une chaise à porteurs marquée de la croix rouge.
© Photo Marc-André Guex
Malheureusement, comme souvent aujourd’hui, les plus belles idées de mises en scène ne sont pas forcément très bien défendues par les interprètes. Le plateau de ce soir est au demeurant plus qu’honorable, joue remarquablement bien la comédie et sait se faire entendre dans l’un des rares espaces de plein air non sonorisés. Mais il y manque déjà une vraie Rosine. Lana Kos, plutôt une Nedda, a certes l’abattage que nécessite le rôle mais n’en traduit ni la jeunesse ni la virtuosité vocale. Comme la plupart de ses partenaires, elle ne savonne pas vraiment, mais esquisse nombre de notes plus qu’elle ne les chante. Et comme eux, elle profite de la folie générale pour laisser place à une certaine nonchalence vocale, assez largement partagée. George Petean a chanté Figaro sur toutes les grandes scènes internationles, y compris à Bastille dans la mise en scène de Coline Serreau. Il est comme à son habitude pétillant de drôlerie et de présence scénique, mais cela s’accompagne d’une certaine mollesse vocale. Le chanteur chinois Yijie Shi, découvert à Pesaro il y a quelques années, a toujours ce caractère juvénile physique et vocal, et cette belle projection – encore qu’un tant soit peu nasale – parfaitement adaptés au rôle d’Almaviva, mais sa décontraction rejaillit par trop sur sa précision vocale. Le Fiorello pétillant de Fernando Afara, le Bartolo de Miguel Sola et le Don Basilio de Rubén Amoretti sont bien dans la tradition. On se saurait oublier la désopilante Berta de Carine Séchaye, et le non moins amusant Ambrogio (rôle muet) de Yaël Rion, façon Deschiens.
Le côté musical est un peu déstructuré. Les départs des chanteurs ont souvent une fraction de seconde de retard, et l’ensemble dirigé par Nir Kabaretti paraît surtout lourd et pesant bien que les tempi soient corrects. En fait, une direction plus légère et rapide aurait posé d’autres problèmes, car les chanteurs n’auraient pas pu suivre. S’y ajoute la présence d’un orchestre de chambre (Orchestre de Chambre Fribourgeois), de bonne qualité certes, mais au volume très insuffisant pour remplir l’espace de ces arènes romaines. Le Chœur de l’Opéra de Lausanne participe de manière très impliquée et excellente au travail théâtral de l’ensemble.
Notons une nouveauté instaurée cette année après la désastreuse saison de l’an dernier, où la pluie avait perturbé voire fait annuler plusieurs représentations : en cas de météo incertaine ou pluvieuse – comme mardi dernier –, la représentation a lieu dans le grand manège de l’Institut Équestre National d’Avenches, spécialement aménagé pour l’occasion. La décision, prise chaque jour de représentation à 14h30, est visible sur le site Internet d’Avenches Opéra. On ne pourrait que s’en féliciter si, malheureusement, le nombre de places dans cet espace couvert n’était insuffisant ; de ce fait, les places les moins chères – non numérotées – ne sont pas mises en vente, ce qui ne va guère dans le sens de la démocratisation du théâtre lyrique.