L’opéra le Barbier de Séville de Rossini a -t-il de l’avenir ? Sa création à laquelle nous avons assisté à Rome mardi dernier (20 février 1816) a été si catastrophique qu’on peut se poser la question.
L’opéra de ce jeune compositeur de 24 ans n’est vraiment pas né sous de bons auspices.
La représentation a eu lieu au Teatro di Torre Argentina qui est le plus important des théâtres romains, dans cet Etat sur lequel règne actuellement le pape Pie VII.
Nous étions curieux de savoir ce que Rossini allait faire de la pièce de notre Beaumarchais. Il paraît que Rossini a composé son opéra en deux semaines. Si c’est le cas, la prouesse est admirable !
Ce n’est pas la première fois que la pièce de Beaumarchais a donné lieu à un opéra. Le compositeur Giovanni Paisiello, très respecté en Italie, a déjà composé un Barbier… de qualité. (« Di qualita », comme on dit ici!)
Nous avons appris que par respect pour Paisiello, le jeune Rossini est allé voir le vieux maître pour l’informer qu’il avait traité le même sujet que lui. Celui-ci lui aurait répondu n’y voir aucun inconvénient.
L’ambiance était triste, au Teatro Argentina. Son imprésario, Don Cesarini, vient de mourir. C’est lui qui avait commandé l’opéra à Rossini. Il n’a donc pas pu assister à sa création.
Lorsque l’orchestre a commencé, tout se présentait bien. Il n’y a pas plus gai que l’ouverture de cet opéra. L’immense crescendo final semblait répandre la joie. Pourtant, dès la fin de cette ouverture, les premières manifestations hostiles sont apparues. Nous avons appris par la suite que les agitateurs étaient des partisans de Paiesiello.
Les ennuis ne faisaient que commencer.
Le Théâtre avait eu beau convier le grand ténor espagnol Manuel Garcia, celui-ci n’était pas en forme. Comble de malchance, il avait décidé d’accompagner lui-même sa sérénade à la guitare. Une corde cassa. Il ne la remit pas correctement. Il continua avec un instrument désaccordé et devint la risée de la salle.
Illustration ancienne du Barbier de Séville
Là dessus, Zenobio Vitarelli, interprète de Basile, entre en scène. Ratant une marche, il s’étale de tout son long. Se met à saigner du nez. Va-t-on interrompre la représentation ? Non, il persiste mais c’est sous les rires, en s’épongeant le nez, qu’il chanta l’ « air de la calomnie ».
Gertrude Giorgi-Righetti, interprète du rôle de Rosine, ne fut pas épargnée par le mauvais sort. Tremblant sur la fin d’une note tenue, elle se fit apostropher par quelqu’un dans la salle : « Ce sont les funérailles de Cesarini, lança-t-il » !
Ce n’était pas fini. Plus tard, venu d’on ne sait où, chat traverse la scène. Hilarité dans le public qui se met à miauler.
La fin de la représentation se fit dans un désordre indescriptible.
Rossini, qui dirigeait l’orchestre depuis le clavecin, se leva pour applaudir et encourager les chanteurs. Le public prenant cela pour une fanfaronnade, réagit de plus belle !
Nous l’avons dit, une série de catastrophes !
Le compositeur que nous avons vu à la fin, dégoûté, a déclaré qu’il ne serait pas présent aux spectacles suivants. Que va devenir cet opéra ? Malgré le brouhaha dans la salle, l’œuvre nous a paru présenter une nouvelle vigueur de style. Comme toujours, l’avenir décidera…
Rossini jeune