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I tre gobbi — Bad Wildbad

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Spectacle
27 juillet 2019
Un final rossinien pour son interprète

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Opéra de salon en deux parties (Paris 1831)

Livret de Carlo Goldoni

Matériel d’exécution tiré du manuscrit pour le Festival par Aldo Savagno

Détails

Mise en scène

Jochen Schönleber

Décors

Jochen Schönleber

Costumes

Martin Warth

Lumières

Olivier Porst

Surtitres allemands et italiens

Antonio Staude

Bad Wildbad, Königliches Theater, samedi 27juillet 2019 à 11h15

Parmi les bijoux que l’on peut découvrir à Bad Wildbad, un nouvel opéra de salon daté de 1831 et signé du célèbre baryténor rossinien Manuel Garcia, sur un livret de Goldoni dont le musicien Vincenzo Ciampi avait tiré un intermezzo en deux parties créé pour le carnaval 1749 au Teatro San Moise. C’est un divertissement où le libertinage qui faisait la réputation de Venise est justifié par quelqu’un qui en vit. En effet on y voit une dame déclarer d’emblée que sa beauté fait sa renommée mais qu’elle en connaît la fragilité, car le temps l’emporte.  Elle a donc l’intention de l’exploiter au mieux en s’entourant de courtisans riches et généreux. On annonce aussitôt un galant : qu’il vienne, ce parvenu né roturier et désormais si riche qu’il prétend à un titre. On le découvre bossu et vaniteux, car il explique que sa gibbosité dorsale est née en contrepoids de ses pensées. S’en effraie-t-elle ? Mais non, cela vous donne de la grâce, et puis, qui a de l’argent est toujours beau ! La perche tendue est saisie au vol,  et il énumère ses richesses. La voilà décidée, en aparté, à prendre la bourse sans le bossu et sans y toucher se fait offrir un diamant. Il se croit déjà marié quand on annonce à la rusée un autre visiteur titré. Aussitôt elle en fait un frère incommode et vite brutal, et le premier se met à l’écart dans une autre pièce.

Le nouveau venu cumule : il a une bosse sur la poitrine et il bégaie, cela expliquant peut-être ceci. En outre il semble particulièrement laid car l’hôtesse le définit comme «un monstre». Il expose laborieusement son cas : les filles lui courent après, mais elles le laissent froid, il ne pense qu’à elle. Alors elle lui demande si, en cas de mariage, il serait jaloux si l’on courtisait sa femme ? Pourquoi, répond-il, ne suis-je pas très beau ? Mais on annonce un autre visiteur. Permettez-vous ? dit-elle. Faites, je me retire à côté.

Voici maintenant un bossu double, par devant et par derrière qui se définit professeur de maintien, ou de danse, ce qui lui vaut l’ironie à peine voilée de la dame, à laquelle il est imperméable car il est très content de lui. Mais puisqu’il est aussi gracieux, est-il aussi généreux ?  Comment, ne puis-je être aimé pour moi-même ? La voilà contrainte de sortir du bois : si vous voulez-que je vous aime, faites tinter les écus. Oh, quelle jolie montre, j’avais la même, je l’ai perdue, oh, comme c’est gentil ! Vous m’aimerez donc ? demande-t-il ? Oh, tellement !

Mais on entend du bruit : oh, c’est mon frère le brutal, prenez garde. Surgit le premier galant ; ils s’observent et elle va de l’un à l’autre jusqu’à ce qu’ils se retirent. Mais le bègue apparaît et les deux qui n’étaient pas loin reviennent et le découvrent  : un nouveau frère ? L’imposture ne prend pas et les bossus un et trois se fâchent, alors elle les chasse et tout le monde maudit tout le monde.

Evidemment les deux bossus rivaux vont se défier pour l’honneur, mais la bataille de chiffonniers va tourner court parce le bègue va essayer de les amener à ses vues : il aime aimer en compagnie. Chacun des deux autres le presse d’intercéder en sa faveur, à peine est-il parti que la dispute recommence. Mais surgit une femme masquée, à la vénitienne, qui prétend venir de la part de leur belle et leur délivre la nouvelle règle en vigueur. La jalousie est bannie, s’ils ne veulent pas aimer de compagnie, qu’ils aillent tous deux se faire voir ailleurs. D’ailleurs, qui croit être seul se trompe : les femmes d’un seul ne se contentent.

Résignés les rivaux tentent encore de se persuader que leur charme personnel les fera triompher ; l’échange de sarcasmes pourrait dégénérer mais l’arrivée de la dame les calme. Bon gré mal gré ils vont devoir s’accommoder de ce partage ; aimer en compagnie, c’est aimer en liberté.


Parpagnacco (Javier Povedano) et Emmanuel Franco (Macacco) © DR

Il serait évidemment absurde de nier le substrat sexuel sous-jacent à cette histoire que Goldoni affirmait tenir de sa grand-mère sous la forme d’un conte, et qui pourrait en effet dériver de la littérature médiévale. L’association des difformités physiques à des faiblesses morales ou à des dispositions anormales dans le domaine de la sensualité est probablement aussi ancienne que l’humanité. Ici elle accompagne le thème de la séductrice dont la nature est telle qu’il vaut mieux s’en accommoder et celui de l’insondable vanité masculine. On pourrait évidemment y lire un constat cruel sur la vie amoureuse des personnes atteintes de difformités, mais ce n’était pas le propos de Goldoni.

Jochen Schönleber exploite donc l’oeuvre en mettant l’accent sur les obsessions des personnages masculins, dans une zone en dessous de la ceinture. Un peu, pourquoi pas, mais beaucoup, c’est trop surtout quand cela devient insistant comme l’ostentation par Parpagnacco d’une banane gainée dans un étui comme métaphore de son sexe. Le personnage du bègue a des attitudes simiesques, puisqu’il s’appelle Macacco ; il semble avoir des goûts assez éclectiques, et l’indifférence qu’il évoque pour les jeunes filles qui lui courent après, s’il n’affabule pas, trahirait plutôt une propension à préférer ses semblables. Quand au dernier, amoureux avant tout de lui-même et prêt à quelque larcin en douce, même si on le devine en train de bousculer la dame derrière le  fauteuil à haut dossier – ce qui est peu pertinent avec le dessein de celle qui ne semblait pas disposée à s’offrir pour rien – il semble bon à toutes mains, comme on disait jadis. C’est de bon augure pour la réussite de l’amour en compagnie.

Si cette conception scénique semble atteindre son but, amuser,  elle réduit beaucoup l’impact de la drôlerie du texte de Godoni, car les gags sont privilégiés. Ainsi celui de la bombe désodorisante que l’hôtesse use sans beaucoup de résultat sur la personne de Parpagnacco. Il faudrait encore signaler une désinvolture certaine dans le déplacement d’un air, ou les bosses, absentes puis présentes mais jamais au complet, mais demander à un metteur en scène de se soumettre aux oeuvres au lieu de faire l’inverse revient à prêcher dans le désert. Au moins a-t-il organisé l’espace de façon que des courses poursuites soient possibles. Les costumes sont censés correspondre à la personnalité de chacun; ceux des hommes nous ont semblé plus inspirés que les tenues de madama Vezzosa.

Les trois interprètes masculins sont impeccables, vocalement et scéniquement. Javier Povedano est le fat content de lui, inconscient des aveux qui trahissent sa caque originelle, et il incarne avec drôlerie celui qui « a la plus grosse ». Emmanuel Franco mérite un éloge appuyé car il soutient sans faiblir la composition doublement exigeante qui est exigée de lui, pour ses bégaiements et pour les attitudes d’un personnage aux comportements simiesques puisque son nom est Macacco. Patrick Kabongo, l’avant-veille père émouvant au même endroit, révèle une vis comica irrésistible, à force de poses plastiques qu’il enchaîne comme on présente une carte de services. le personnage est très amusant, mais on est sans doute loin du magot empoté qu’on imagine en lisant Goldoni. Bref, tous trois chantent bien et c’est au fond l’essentiel puisque cette oeuvrette était destinée à l’usage des élèves de Manuel Garcia. 

Le problème, car il y en a un, est le personnage de madama Vezzosa. En français, madame Charmante. faut-il l’entendre comme une antiphrase? Alors le travail d’Eleonora Bellocci est parfait car elle se montre d’emblée insupportable, d’une nervosité hystérique qui passe dans sa voix et la rend désagréable. Mais pourquoi ne serait-elle pas charmante, réellement, une sirène désireuse de séduire et sachant qu’elle n’y parviendra pas si elle se montre trop acide ? Sans doute le rôle de l’intermezzo est d’amuser, et pour cela les chanteuses n’hésitent pas à jouer de leur voix pour forcer le trait. Si c’est de cela qu’il s’agit, nous en avons souffert sans nous amuser. Car le personnage est souvent brutal dans ses manières, alors que la cruauté verbale de Goldoni suffirait, croyons-nous, à rendre piquantes les situations. Madama Vezzosa n’est pas Livietta, elle ne court pas les rues. Le mystère pour nous reste entier car la veille l’interprète avait su subjuguer dans un Der Hölle Rache étincelant.

Jouée au piano avec une verve irréprochable par Andrès Jesus Gallucci, qui participe encore au spectacle,  la musique de Manuel Garcia, sans être impérissable, révèle la sûreté d’écriture pour la voix, et le final endiablé montre que l’interprète de Rossini avait bien assimilé les leçons du Maître. Le public est ravi. 

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