L’Opéra de Bilbao ouvre sa saison avec des Puritani qui apportent toute satisfaction. Il faut dire que la distribution, entre stars du répertoire et jeunes pousses prometteuses, délivre une performance exaltante, sous la baguette experte et soignée de Giacomo Sagripanti.
Seule la réalisation scénique reste basique. Déjà recensée à Madrid, Emilio Sagi plonge le mélodrame dans un décor unique de jais et de costumes sombres à l’exception de ceux des protagonistes féminins. La scène s’éclaire de rangées de lustres élégants mais hors de propos et qui offrent peu de possibilités dramaturgiques. La direction d’acteur relève un peu le niveau et fournit un support simple mais adéquat aux interprètes.
© Moreno Esquibel
Les chœurs, Josu Cabrero (Bruno) et Andrzej Filonczyk (Forth) donnent le « la » dès la première scène : voix franches et sonores, lignes châtiées et soucis des nuances. Les chœurs s’illustrent toute la soirée par leur unité et leur précision rythmique notamment dans les scènes finales où Giacomo Sagripanti adopte une plasticité rythmique pour coller au sens dramatique. Andrzej Filonczyk construit savamment un personnage aussi amoureux que despote en s’autorisant quelques prises de risques à l’aigu notamment dans le duo « suoni la tromba ». Laura Villa (Enrichetta) et Alejandro Lopez (Gualtiero) complètent avec les mêmes scrupules stylistiques les comprimari. Manuel Fuentes ouvre un podium digne des olympiades du belcanto. Timbre au métal noble, souffle ample se coulent dans une ligne bellinienne élégante et surtout dans un portrait tout en humanité de l’oncle. Difficile de décerner la palme entre Jessica Pratt et Xabier Anduaga. Elle, dont l’Elvira marseillaise séduisait déjà notre correspondant, porte une incarnation intense assise sur une technique superlative et une grande intelligence musicale. Ut, ré et même mi (dans le final du 1er acte) qu’elle tresse dans une ligne ornée de trilles, de staccati, le tout varié avec générosité dans toutes les reprises. Surtout, jamais l’interprétation ne verse dans la démonstration : chaque audace, chaque appoggiature épouse le portrait de la jeune amoureuse, qui déchante, perd pied avant de s’abandonner à nouveau dans un dernier duo brûlant qui culmine sur un ré et s’achève sur un ut somptueux, tous deux à l’unisson, qui soulève la clameur de la salle. Xabier Anduaga, sans disposer encore du même bagage technique, capitalise sur d’autres qualités : un volume et une projection généreuse qui devraient le conduire vers d’autres rivages que ceux rossiniens de ses débuts, un timbre capiteux aux reflets lumineux à l’aigu, un souffle et une ligne toute rubinienne. Ce capital lui autorise de très belles nuances dans « A te o cara » et lui laisse toute latitude pour colorer son chant à chaque instant et s’autoriser des prises de risque électrisantes (sans tenter de fa ou de de ré en ce soir de première dans « credeasi misera ») au service du portrait du jeune noble fougueux.
Ce haut niveau de bel canto est d’autant plus galvanisant qu’il est serti de toute la maestria de Giacomo Sagripanti en fosse. Celui-ci réalise la quadrature du cercle à la tête d’un orchestre très en place. Il assoit son plateau dans tout le confort possible tant en terme de volume que de rythme : il distribue les petits points d’orgue propices à la tenue d’une note ou l’exécution d’une cadence, varie la pulsation dans les finals et les tutti, charpente l’orchestre pour appuyer les dynamiques, sans jamais tomber dans la lourdeur, et ménage des espaces pour ses instruments solistes.