La vie des arts de la scène ayant été mise entre parenthèses par le Coronavirus, la rédaction de Forumopera.com vous propose – en attendant le retour des artistes in situ – quelques comptes rendus de créations mondiales historiques. Ceux-ci sont des travaux d’imagination et de projection, bien sûr – car généralement, nous n’y étions pas – mais ils vous permettront de humer l’ambiance des créations au temps de Mozart, de Rossini ou de Verdi.
Nous étions à Rome la semaine passée. Quel bonheur d’être ici en novembre, loin des pluies parisiennes ! Nous avons éprouvé le charme de cette ville-musée que Stendhal a évoqué dans ses récents écrits. Ayant appris la venue d’un journaliste de Forum-Opéra, le directeur de l’Académie de France à Rome, le peintre Jean-Victor Schnetz ( qui a succédé il y a deux ans à Ingres) nous a reçu à la Villa Médicis. Dans ce palais dont les deux tours carrées se dressent au haut du mont Pincio, nous avons rencontré les deux derniers Prix de Rome de composition, le montpelliérain Aimé Maillart, 24 ans, et Alexis Roger, 27 ans, originaire de la Mayenne, bien désireux d’enrichir leur inspiration. Alexis, brillant sujet du conservatoire de Paris, nous a paru en mauvaise santé. (1)
Le lendemain, dimanche 3 novembre (1844), nous avons assisté à la création de l’opéra I due Foscari d’un compositeur de 31 ans dont on parle beaucoup en Italie, Giuseppe Verdi. Les choeurs aux accents patriotiques de ses deux opéras précédents, Nabucco et I lombardi, créés à Milan, ont suscité un fervent enthousiasme de la part des militants de l’unité italienne. Dans son nouvel opéra, le chœur n’est pas « patriotique », évoquant simplement le carnaval de Venise. Il n’empêche, Verdi apparaît désormais comme un homme de chœur. Il met le chœur à l’ouvrage.
La représentation a eu lieu au Teatro Argentina. C’est dans ce même théâtre que fut créé il y a vingt huit ans le Barbier de Séville de Rossini. (A ce propos, M. Rossini n’a plus composé d’opéra depuis une quinzaine d’années. Il est temps qu’il se remette au travail !)
L’histoire des Foscari est celle du fils d’un doge de Venise condamné à l’exil, dont le père, garant de la loi, doit signer la condamnation. Le père chante : « Saro Doge nel volto / e padre in cor » (« Je serai doge en apparence/ et père dans mon coeur »).
Foscari banissant son fils, tableau de Francesco Hayez datant de 1850
Les personnages ont du caractère. L’orchestre met en valeur leur personnalité. Ici, le bouillonnement des cordes accompagne l’ardeur de Lucrezia, épouse du jeune doge. Là, la clarinette commente avec mélancolie le malheureux destin du jeune Foscari. Plus loin, la lassitude du père est portée par les violoncelles et les pizzicatos des contrebasses. Dans le duo entre le vieux doge et sa belle fille, Verdi joue avec les sentiments, il passe avec virtuosité de la colère à la supplication.
Hélas, les interprètes n’ont pas été à la hauteur de la musique. Le doge octogénaire était incarné par un baryton de 25 ans, Achile de Bassini, son fils par un ténor dix ans plus âgé que lui, Giacomo Roppa, sa belle fille par la célèbre soprano Barbara Barbieri-Nini, souvent entendue dans Semiramis de Rossini, qui est, hélas, bien desservie pas son physique. A la fin, les applaudissement allèrent plus à la personne de Verdi qu’au spectacle lui-même.
Giuseppe Verdi
Nous avons croisé Emmanuelle Muzio, chef d’orchestre et ami du compositeur. Les chanteurs l’avaient rendu furieux. Il nous a amené à la loge de Verdi. Encore dans l’excitation du spectacle, il s’est dit heureux de serrer la main à un journaliste français. Il est en effet en train de composer un opéra sur une héroïne française.
« – Laquelle, Maestro, avons-nous demandé ?
– Giovanna d’arco, nous a-t-il répondu ! »
Note:
(1) Il mourra en 1846 à 32 ans