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I due Foscari — Marseille

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Spectacle
15 novembre 2015
Un lion nommé Nucci

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes (1844)

Livret de Francesco Maria Piave

D’après la pièce de Lord Byron

Première représentation à l’Opéra de Marseille

Détails

Lucrezia Contarini

Sofia Soloviy

Pisana

Sandrine Eyglier

Francesco Foscari

Leo Nucci

Jacopo Foscari

Giuseppe Gipali

Jacopo Loredano

Wojtek Smilek

Barbarigo/ Fante/ Servo

Marc Larcher

Choeur de l’opéra de Marseille

Chef de choeur

Emmanuel Trenque

Orchestre de l’Opéra de Marseille

Direction musicale

Paolo Arrivabeni

Marseille, dimanche 15 novembre, Opéra Municipal à 14h30

La Ville de Marseille ayant décidé, en réponse aux attentats commis à Paris, d’ouvrir ses musées et de maintenir les manifestations culturelles prévues, le concert de ce dimanche à l’Opéra est maintenu, tout comme la foire aux santons. Il s’agit, comme le déclare l’adjointe aux Affaires Culturelles de la Ville, de refuser de se soumettre à la terreur et d’affirmer par là les valeurs de notre démocratie. Après l’hommage aux victimes d’une minute de silence, auquel les solistes alignés en scène se sont joints, place à I due Foscari en concert.

Cette oeuvre n’a jamais atteint la popularité de maints autres titres de Verdi. Il était pourtant sûr de tenir un bon sujet, avec la pièce de Byron consacrée aux malheurs du Doge Foscari. On y trouve en effet un père noble digne de l’antique qui accepte de sacrifier son fils aux rigueurs de la loi, celui-ci en victime emprisonnée, torturée, et condamnée à mourir en exil, son épouse fière et douloureuse mais impuissante à fléchir les hommes qui ont décidé de son sort, un homme mû par la haine du premier qui accomplit obstinément une vengeance inexorable et triomphe avec la mort du fils, tué par la désolation et celle du père dépouillé brutalement de sa charge. Le projet avait été repoussé par La Fenice comme susceptible de porter atteinte à la réputation de nobles familles vénitiennes. Verdi le proposa à Rome, où le Teatro  Argentina lui avait commandé un opéra, et l’accueil fut chaleureux. Pourtant, après 1870, le titre disparut des affiches. Plusieurs explications ont été avancées, parmi lesquelles l’infériorité qualitative qui serait celle des œuvres des « années de galère ». Sans doute peut-on voir dans le livret des réminiscences de Nabucco – l’hallucination –, trouver dans les éclats de Lucrezia les échos de ceux d’Abigaille, mais à côté de ces recettes à succès on trouve aussi dans I due Foscari des couleurs et des thèmes qui annoncent aussi bien Il Trovatore que Un Ballo in maschera, voire Simone Boccanegra et Don Carlo(s), ce qui fait de cette œuvre mal aimée un maillon important de l’évolution du compositeur. Autant de raisons de se réjouir de la proposition faite à Marseille d’entendre cette rareté.

Un changement de distribution étant survenu, c’est celle de 2013 à Liège qui est reconstituée. Christophe Rizoud avait ici même rendu compte des prestations des uns et des autres. Si nos impressions se recoupent très largement, elles diffèrent pourtant, deux représentations n’étant jamais semblables. Ainsi l’ardeur qui faisait défaut à Giuseppe Gipali du fait d’une indisposition est ici pleine et entière dès son entrée, et nous la trouvons presque excessive, car elle prête une dimension héroïque à un personnage touchant qui en est totalement dépourvu. Ce cœur tendre est-il Vénitien ou Sélénite ? Qui mieux que lui, fils de doge, peut connaître les lois qui interdisent d’entrer en relations avec un souverain étranger ? Non seulement il écrit une lettre qui fait de lui un traître mais il est assez maladroit pour la perdre ! Du fait de cette énergie initiale, quand le personnage devrait être hors de lui dans la scène de l’hallucination la différence d’intensité n’est pas perceptible et la composition y perd un peu. Mais, à cette réserve près, c’est un plaisir de le retrouver, sensible et concerné, apparemment à son meilleur. Comme à Liège Wojtek Smilek réussit le tour de force de donner à Loredano le poids que la modestie de ses interventions – il n’a aucun air – lui refuse. Sofia Soloviy, appelée à remplacer Virginia Tola, ne nous convainc pas davantage qu’elle n’avait séduit Christophe Rizoud. Nous avions gardé un très bon souvenir d’un Mégacle dans L’Olimpiade de Pergolese, mais soit que la voix ait changé soit que les difficultés du rôle de Lucrezia excèdent les moyens de la chanteuse, entre sons tubés dans les joues, échelles savonnées et aigus acerbes les délices espérées ne sont pas au rendez-vous. Elle recueillera pourtant un vif succès. Sandrine Eyglier, dans le rôle effacé de sa suivante, et Marc Larcher, tour à tour Barbarigo, un soldat, un serviteur, honorent leurs emplois.


Sofia Soloviy (Lucrezia Contarini) et Leo Nucci (Francesco Foscari) © Christian Dresse

Comme à Liège en 2013 c’est Leo Nucci qui interprète le doge Foscari. Que dire, sinon que l’art du chanteur se double d’une performance qui laisse pantois ? A l’âge où tant d’autres se sont retirés, il persiste, il signe, et il le fait avec un panache qui exalte et fait exulter. La voix n’a plus la fraîcheur de celle d’un jeune homme ? On le devine plus qu’on ne le sent, dans sa première scène, où il est arrivé à pas lents, comme accablé par les années et les épreuves. Mais c’est le personnage qui est dans cette déréliction, car pour l’interprète le doute n’est pas permis : ce Leo rugit encore, et comment ! Tandis qu’on s’émerveille à chaque instant de la tenue vocale, du contrôle constant qui endigue strictement le vibrato, de la longueur du souffle et de la science avec laquelle il en use, il délivre une leçon de chant à l’ancienne, quand le son et le sens ne faisaient qu’un. Comment ne pas se réjouir d’être témoin de cette interprétation ? Comment ne pas être ému de la joie qui lentement amène le sourire sur son visage marqué par la fatigue ? Car il a accompli une fois encore l’exploit, soutenu par la ferveur d’une salle où il se sent chez lui, de bisser l’air final du doge, sa dernière protestation, sa dernière indignation. A l’instant où les cloches de sa destitution sonnent, l’airain est dans la voix et l’accent du vieux Leo !

Au pupitre du chef Paolo Arrivabeni renouvelle à Marseille le succès qu’il avait obtenu à Liège, par une direction attentive aux moindres détails de la partition, qui valorise les trouvailles et les recherches expressives du jeune Verdi. Le prélude, littéralement ciselé, et les couleurs tendres ou sombres nées de la clarinette, de l’alto et du violoncelle, de la harpe et de la flûte tissent la trame de la défaite des cœurs purs sans rien sacrifier des accents ou des scansions à visée dramatique. A ce beau travail de l’orchestre il faut ajouter celui du chœur, même si sa première intervention nous a semblé peu convaincante car l’équilibre à trouver entre les intensités contrastées manquait de netteté. Or ce premier chœur, parce qu’il exprime crûment la nature d’un pouvoir tel qu’il sera vain de contester ses décisions, donne la clé du drame qui va suivre. D’où l’importance de le réussir. Par ailleurs les autres interventions, et particulièrement celles où la voix collective célèbre Venise par des slogans, sont sans reproche !

Les événements ont-ils retenti sur ce concert ? Peut-être expliquaient-ils certaines places vides. Ont-ils contribué à exalter l’enthousiasme déferlant vers les artistes, une gratitude particulière s’ajoutant à celle d’auditeurs heureux ? A la sortie nous n’avons entendu personne se décerner un brevet de civisme ou de courage pour avoir été présent. Et pourtant, même si cela peut sembler dérisoire, sortir de chez soi est déjà un acte de résistance. Soyons plus nombreux que jamais à l’accomplir ! A Marseille, une autre date, le mercredi 18 à 20 heures.

 

 

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