Les amoureux du chant bellinien sont à la fête ce jeudi de Festival d’automne au Festspielhaus de Baden-Baden. Dans la version concertante des Capuleti e i Montecchi en coproduction avec Genève, tout est au service de ce bel canto si pur et exigeant : des voix adaptées, un orchestre mené par un chef attentif à la mélodie et aux silences du Sicilien et des chœurs en nombre, rapidement déchaînés, en puissantes pulsations fidèles aux intentions du compositeur. Le bruit et la fureur des rivalités entre Guelfes et Gibelins résonnent aux oreilles, accentuant encore l’infinie douceur et délicatesse des lamentations des amoureux de Vérone. Visuellement, les deux interprètes principales forment un couple très convaincant, jusque dans le costume qui magnifie ces jouvenceaux charmants.
Elīna Garanča commence par surprendre dans son approche de Romeo, très apprêtée, curieusement en retenue, mais rapidement la voix se pose, prend de l’ampleur et devient idéalement équilibrée. Elle épouse à merveille la mélodie bellinienne, dans une androgynie des plus séduisantes aux aigus éclatants et angéliques équilibrés par des graves appréciables et enveloppants, qu’on aurait cependant souhaités un brin plus caverneux ou mâles, notamment pour le « Sangue » de son invective belliqueuse contre les Capulet. Ces infimes réserves ne sont évidemment que broutilles pour tâcher d’atténuer un dithyrambe trop uniforme. Car enfin, il s’agit là d’un spectacle vivant avec de minimes incidents perceptibles moins vocalement que dans les solos instrumentaux faussement simples pas toujours parfaitement maîtrisés, mais d’autant plus sincères et touchants.
Ekaterina Siurina commence par apparaître assez pâle et effacée en Giulietta, puis s’épanouit après quelques mesures, et son « Eccomi in lieta vesta » se déploie comme un air de folie d’où se dégage une émotion magnifiée par l’art de l’ornementation. Pour couronner le tout, les voix du couple se marient harmonieusement dans une palette d’émotions où l’amour transfiguré jusqu’au spasme final des mourants laisse difficilement l’auditeur de glace.
Bellini avait écrit en 1830 son œuvre pour la Fenice, n’ayant à sa disposition que deux interprètes féminines solides et pour reprendre ses propos : « le ténor est faible, sans déplaire : la basse est une nouille. Le chœur est bon, et l’orchestre médiocre ». S’adaptant à cette configuration, rien d’étonnant à ce qu’il n’ait laissé que peu d’espace aux rôles secondaires. Cela dit, la distribution généreuse de Baden-Baden propose des utilités de luxe avec le Tebaldo impérial de Yosep Kang aux aigus solides et à la très grande humanité, secondé par Mathias Hausmann qui interprète un père irascible et inflexible avec beaucoup d’autorité sans oublier un Lorenzo tout en finesse incarné par Nahuel Di Pierro au timbre chaud et séduisant qu’on aurait aimé voir se mettre en valeur plus longuement. Restera un quintette exceptionnellement beau concluant le premier acte, sublimé par les chœurs tumultueux et impérieux.
La direction d’orchestre de Karel Mark Chichon marque par sa discrétion, tout au service de la voix, mais tout en équilibre et en subtilités. Son orchestre est tout, sauf médiocre… On sort de cette soirée émue aux larmes et comblée.