Jusque très récemment, Hambourg était de fait privé de huitième symphonie de Mahler, justement dite des Mille à cause des effectifs imposants qu’elle mobilise. L’inauguration de l’Elbphilharmonie en début d’année a changé la donne. Une occasion que Kent Nagano, directeur musical de l’orchestre de l’opéra de Hambourg et de son chœur maison, a voulu saisir dès la première saison où sa formation a pu se produire en dehors de leurs murs ou de la plus intime Laeizshalle. Hélas pour lui, un souci de santé l’oblige à céder la baguette en plein travail préparatoire. Eliahu Inbal, à la Philharmonie de Paris dans Des Knaben Wunderhorn le 7 avril dernier, vient assurer la relève de toute son expertise.
Pourtant dès la première partie, « Vieni creator spiritus », l’on sent que le temps de répétition a été court et que tous les choix du chef n’ont pu être menés à leur terme. À cela s’ajoute une seconde difficulté : l’orchestre accuse une certaine fatigue. Déjà le vendredi, l’effectif au grand complet jouait cette même symphonie. Le lendemain, une partie non négligeable se trouvait en fosse à l’opéra pour une représentation de Die Frau ohne Schatten, elle aussi sous la baguette d’un autre chef que Kent Nagano, initialement programmé. Est-ce pour cette raison qu’Eliahu Inbal fait le choix de tempi si pressants et néglige ambiances et détails au profit de l’évocation d’une fuite joyeuse ? Certes, la précision de la battue assure la cohésion de l’ensemble, première gageure, et le chef n’oublie aucun départ de pupitre ou de soliste pour emmener tout le monde à bon port. Pourtant, dans les scènes finales de Faust, on regrette que ce rythme soutenu ne s’alanguisse au détour d’un numéro plus propice. Pathos ou lyrisme n’ont pas droit de cité, l’orchestre trace un sillon rapide, parsemé ça et là de scories, jusqu’à en perdre haleine.
Du souffle, il en faut pour venir à bout de ce morceau de bravoure de symphonie lyrique. Du souffle, le Chœur de l’opéra de Hambourg n’en manque pas. On louera tout particulièrement les basses, caverneuses et unies, qui rivalisent ce soir-là avec leurs confrères russes ; ou encore les ténors clairs, parfaitement fondus eux aussi en une seule voix lumineuse. Alti et soprani ne sont pas en reste bien que ces dernières marquent quelques duretés dans les aigus. On regrette que le chœur d’enfants, remarquable de précision et de justesse, ait été placé dernière les contrebasses et sous le chœur sis en arrière-scène. Il se voit écrasé par ses aînés et par la masse de l’orchestre, du moins de là où l’on était placé.
On passera pudiquement sur la « dramaturgie » du concert plus qu’agaçante (voir les photos) pour se concentrer sur les solistes qui ne ménagent pas leurs forces dès le premier mouvement. Sarah Wegener survole les « mille” de son soprano dramatique, dardant ses aigus dans tout l’auditorium. Ses interventions dans les scènes de Faust la verront plus sobre : choix réel ou conséquence de l’engagement dans les tuttis initiaux ? Burkhard Fritz suit le même tracé et se voit mis en difficulté plusieurs fois en deuxième partie. Cela ne retire rien à la beauté du timbre et à la musicalité du ténor. Jacquelyn Wagner, à la puissance moins affirmée que ses comparses mais à la projection remarquable, déploie un chant cristallin dû à une quasi absence de vibrato naturel. Heather Engebretson ne dispose que de quelques phrases pour ravir l’auditorium d’un chant fruité et lumineux. Chez les clés de fa, la basse Wilhelm Schwinghammer s’époumone malheureusement pour atteindre le registre haut. Le baryton Kartal Karagedik est davantage à son aise et déclame avec subtilité son Pater Ecstaticus. Les mezzos Daniela Sindram et Dorottya Lang complètent avec bonheur ces solides solistes.
Un mot enfin de ce bâtiment, dont l’érection aura alimenté la chronique. Un escalator dans un tunnel de lumières dépose les spectateurs sur une première terrasse. Au-dessus, entouré de ses fenêtres bleutées, se trouve l’auditorium, semblable à une nef aérienne. On peut en faire le tour complet et se rafraîchir dans de nombreux bars et espaces de convivialité, baignés des rayons du soleil et des reflets de l’Elbe. Quelle fête en comparaison des couloirs blafards et du gris de son homonyme parisienne ! Réussite également que l’acoustique (nous étions placés dans le parterre haut côté cour) : peu de réverbération mais point de sécheresse. Enfin l’Elbphilharmonie est équilibrée : les voix passent l’orchestre sans mal. À moins que la position des solistes par rapport à l’orchestre ne soit la bonne norme dans ce type d’auditorium circulaire.