Richard STRAUSS (1864-1949)
SALOME
Opéra en un acte
Livret tiré de la pièce d’Oscar Wilde, Salomé, traduite en allemand par Hedwig Lachmann
Mise en scène: Nicolas Brieger
Décors: Raimund Bauer
Costumes: Andrea Schmidt-Futterer
Lumières: Alexander Koppelmann
Hérode: Kim Begley
Hérodias: Hedwig Fassbender
Salomé: Nicola Beller Carbone
Iokanaan: Alan Held
Narraboth: Jussi Myllys
Le Page D’Hérodias: Carine Séchaye
Premier Juif: Matthias Aeberhard
Deuxième Juif: Alain Gabriel
Troisième Juif: François Piolino
Quatrième Juif: Michael Howard
Cinquième Juif: Phillip Casperd
Deux Nazaréens: Marc Mazuir et Simon Kirkbride
Premier soldat: Wolfgang Barta
Deuxième soldat: Hans Griepentrog
Un Cappadocien: Dimitri Tikhonov
Un Esclave: Elidan Arzoni
Orchestre de la Suisse Romande
Gabriele Ferro
Genève, Grand Théâtre, le 13 février 2009
Horreur sublime
Si le projet star de la saison à l’Opéra de Genève est sans conteste la trilogie du diable, une nouvelle production de Salome en occupe actuellement les planches, reléguant les autres diables au rang d’enfants de choeur…
Précédant la musique, le rideau s’ouvre sur le palais d’Hérode vu en contre-plongée. Le public, oppressé par le premier étage où se déroule la fête, est situé au niveau des sous-sols, glauques et humides, où une esclave nue reçoit des cadavres de bouteilles lancées depuis le balcon… une entrée brillante du metteur en scène, Nicolas Brieger, qui nous plonge au coeur de la décadence si propre à ce drame. L’opposition entre les deux niveaux n’est pas aussi contrastée qu’on aurait pu le souhaiter: autant les caves sont-elles glauques à souhait, autant le palais manque vraiment de faste et de luxe… les premières mesures de la partition, enchanteresse, souffrent passablement de ce décor un peu gris: on aurait apprécié une atmosphère plus onirique. Mais il s’agit d’un détail, et les très beaux éclairages bleutés de Alexander Koppelmann tendent à corriger ce défaut au fil de l’oeuvre.
Rarement aura-t-on vu une Salome interprétée de manière aussi fascinante et complète. Nicola Beller Carbone chante le rôle de manière très convaincante mais sans éblouir, à cause d’un timbre assez sec et de quelques duretés; elle est en revanche d’une théâtralité époustouflante, spectacle à elle seule, artiste complète, comme doit l’être à notre sens une vraie Salomé. La vision qu’à le metteur en scène du personnage s’éclaircit au fil du spectacle: si elle est ainsi, c’est d’abord le cadre familial qui en est la cause. Un cadre familial qui se révèle comme de plus en plus sordide au cours de l’action, et qui trouve son apogée dans une danse des sept voiles où le père s’enferme sous un drap avec sa fille, avant que celle-ci ne le sodomise… Dans le même ordre, Hérodias (Hedwig Fassbaender) fait de son page (Carine Séchay) son esclave sexuel, et n’hésite pas à se tenir, jambes écartées, au-dessus de la grille qui couvre la prison du prophète. Celui-ci n’est finalement ici qu’un prétexte, qui retourne en prison comme il en est sorti; Alan Held l’interprète d’une voix belle et autoritaire.
Vocalement, le couple royal est de qualité. Kim Begley, déjà dans ce rôle au MET l’année passée, incarne à la perfection un Hérode méprisable et libidineux, avec ce timbre très nasal qui le caractérise. Hedwig Fassbaender joue elle aussi magnifiquement Hérodias, offrant une voix riche, ronde et belle. Jussi Myllys, grâce à un timbre assez blanc, qui le sert en l’occurrence, épouse bien les lignes rêveuses du personnage de Narraboth, sur lesquelles s’ouvre le drame. Les rôles secondaires sont corrects dans l’ensemble, exception faite de Carine Séchay, excellente tant scéniquement que vocalement. C’est peut-être, en définitive, l’orchestre de la Suisse Romande, dirigé avec brio par Gabriele Ferro, qui émerge comme le meilleur élément musical de la soirée, tissant sans accrocs le subtil tissu sonore, faisant ressortir avec mesure les quelques leitmotivs, offrant globalement un son classieux, voluptueux et précis: quel luxe!
Proposer une nouvelle production de Salomé, c’est décider de la nature de l’héroïne et trouver l’atmosphère qui libère le sublime de cette fascinante partition. L’opéra proposé au Grand Théâtre, après une absence de plus de 20 ans, aboutit à une belle et terrifiante réussite.
Christophe Schuwey