Récemment, des représentations du Barbier de Séville en banlieue parisienne ont fait couler un peu d’encre ici même : les chanteurs y étaient-ils ou non sonorisés ? Loin d’être la maladie honteuse de l’art lyrique, la sonorisation – à condition d’être avouée et non dissimulée – pourrait bien être la planche de salut. Certains, d’ailleurs, en ont fait l’un des instruments de leur spécificité : on pense à l’ensemble Le Balcon, qui revendique haut et fort cette pratique. Dans d’autres cas, c’est un judicieux moyen de pallier le manque de moyens financiers. Aux Pays-Bas, en dehors du Dutch National Opera à Amsterdam, aucune ville n’a de maison d’opéra attitrée, et le genre est donc défendu par des troupes itinérantes, comme BarokOpera Amsterdam, compagnie dirigée par Frédérique Chauvet et dont Forum Opéra a rendu compte de plusieurs spectacles. Opera2day en est un autre exemple, basé à La Haye, ville où brilla jadis un Théâtre Français qui programmait toutes les nouveautés lyriques (on put même y voir en 1883 Le Tribut de Zamora, dernier opéra de Gounod tout récemment ressuscité grâce au Palazzetto Bru Zane). Après y avoir connu un grand succès, le Hamlet d’Ambroise Thomas n’y avait plus été représenté depuis un siècle. C’est donc un choix tout à fait cohérent que de vouloir remonter cette œuvre, mais restait à résoudre la question des effectifs. Opera2day n’ayant évidemment pas la possibilité de monter un spectacle incluant un ballet, avec chœur imposant et grand orchestre, il a fallu trouver une solution. Grâce à la sonorisation des instruments et des voix, il devient possible de faire entendre un grand opéra français même si l’on ne dispose que de six choristes et de quinze instrumentistes en fosse (plus une fanfare d’une dizaine de musiciens). L’œuvre a également été un peu réduite : le finale de l’acte I, avant tout choral, passe à la trappe, tout comme divers passages. Loin d’en être défiguré, Hamlet s’en trouve resserré sur l’essentiel. Et puis il faut bien être pragmatique : à une époque où l’argent manque pour la culture, l’avenir est peut-être là, au moins en partie.
Pour sa mise en scène, Serge van Veggel a peut-être également fait de nécessité vertu, en fondant tout son spectacle sur des projections vidéo pratiquement constantes, qui donnent à voir tantôt le père défunt du prince de Danemark, tantôt le souvenir de moments d’innocence amoureuse avec Ophélie, ou encore un détail significatif (le chapelet que serre dans ses poings Claudius en proie au remords). Les enjeux du drame sont clairement mis en évidence, la scène de théâtre dans le théâtre est particulièrement réussie, et l’on relèvera quelques choix inhabituels : les noces du premier acte ont visiblement été très arrosées, Hamlet chante « O vin, dissipe la tristesse » comme s’il parodiait lui-même le genre de la chanson à boire, et Ophélie se taille les veines au lieu de se noyer. Plus discutable, peut-être, la décision d’insérer des extraits de la pièce de Shakespeare, déclamés en français par une voix off, entre les scènes, mais aussi par-dessus la musique, parfois, comme si la partition d’Ambroise Thomas ne pouvait vraiment pas se suffire à elle-même.
© Opera2day
Malgré les avantages signalés plus haut, la sonorisation rend difficile de juger la prestation des chanteurs : comment leur voix sonnerait-elle sans cet artifice ? Auraient-ils tous la projection nécessaire ? Ces questions sont destinées pour l’instant à rester sans réponse. Le français chanté de cette distribution majoritairement néerlandaise est dans l’ensemble très bon, et l’on peut suivre l’action sans avoir besoin des surtitres. Le baryton Quirijn de Lang prête à Hamlet une silhouette adéquatement juvénile et un jeu engagé, mais il abuse parfois de sonorités nasales. Révélation avec notre compatriote Lucie Chartin, qui possède les (sur)aigus du rôle d’Ophélie, mais avec une richesse de couleurs que n’offrent pas toujours les titulaires du rôle. Hamlet est un opéra où le ténor n’est qu’un personnage secondaire, et c’est heureux car Jan-Willem Schaafsma paraît en difficulté, et n’attrape ses aigus qu’en passant d’abord par une note intermédiaire. Martijn Sanders est un Claudius d’une belle noirceur, et Martina Prins une Gertrude dont le vibrato reste dans les limites du raisonnable. Autour d’eux, tous assurent plusieurs rôles, sauf les trois voix féminines du chœur. A la tête du New European Ensemble, Hernán Schwartzman privilégie des tempos assez rapides, et laisse aux chanteurs une étonnante liberté rythmique, leur autorisant des effets de rubatos qui ne débouchent heureusement jamais sur des décalages avec l’orchestre.