C’est la musique de Wagner qui a été ovationnée et qui sort gagnante de cette troisième journée du cycle L’Anneau du Nibelung au Deutsche Oper de Berlin. Une fin de Ring emballante par la distribution vocale et un orchestre à la hauteur des enjeux. Commençons par cela. Sir Donald Runnicles a fait l’objet d’une juste ovation au baisser de rideau ; pas grand-chose à redire cette fois-ci à la lecture précise et intelligente du chef écossais. La balance avec le plateau est quasiment parfaite ; il fait entendre chacune des voix sur scène et, quand il lâche les chevaux (marche funèbre et fin du III), l’effet est saisissant. Il faut dire que le plateau vocal se débrouille très bien pour se faire entendre ; nul besoin de mettre la sourdine à l’orchestre pour passer la rampe.
Il n’y a que des éloges à faire de la distribution, d’une impeccable cohésion. Tout commence avec les trois Nornes qui engagent la soirée magnifiquement. Il faut notamment et absolument citer Anna Lapkovskaja en première Norne pour la sûreté et la densité de son apparition. Et tout se termine par les trois filles du Rhin : là c’est la fraicheur, l’enthousiasme communicatif et la justesse du chant qu’il faut saluer chez elles, alors que la direction d’acteurs à laquelle elles sont soumises les oblige à une terrible vigilance.
© Bernd Uhlig
La reine de la soirée, disons-le sans plus tarder, c’est Nina Stemme. Elle était déjà la Brünnhilde pour Die Walküre et Siegfried dans cette production. Ici, elle donne toute la mesure des immenses possibilités vocales qui sont toujours les siennes. C’est peut-être son endurance qui force le plus l’admiration. Son monologue en fin de II et le troisième acte n’auront pas raison de ses forces, qui semblent infinies. Mieux, il nous a semblé que son troisième acte était le plus achevé, les difficultés de la partition semblant s’amoindrir pour elle. Stemme a retrouvé le mordant, le médium si habité et l’aigu vaillant qui font sa gloire. Tout juste pourra-t-on ergoter sur la prononciation de certaines consonnes omises pour faciliter l’émission dans le fortissimo du III. Grande dame vraiment que Nina Stemme qui demeure une des plus vaillantes Brünnhilde du circuit.
La Waltraute de Annika Schlicht est non pas une révélation, mais une confirmation. Elle tenait déjà le rôle de Fricka dans Die Walküre. Dans sa narration du I, nous avons retrouvé intactes les beautés et l’élégance de la voix qui nous avaient déjà tant séduit ; elle doit démarrer à froid (la mise en scène exige qu’elle soit assise au premier rang des spectateurs pendant une bonne heure avant qu’elle se lève et monte sur scène), tout cela sans dommage. Membre de la troupe du Deutsche Oper Berlin depuis 2015, elle en est aujourd’hui un des éléments les plus éminents.
Sans doute trouvera-t-on qu’à côté de Stemme et Schlicht, la Gutrune de l’Estonienne Aile Asszonyi est un peu en retrait ; c’est de fait le cas jusqu’au troisième acte, où Gutrune sort vraiment de sa coquille alors qu’elle se rend compte qu’elle a été dupée depuis le début.
© Bernd Uhlig
Chez les hommes, il faut saluer la belle performance du Siegfried de Clay Hilley. Il a le physique du personnage et l’abattage aussi. Hilley est un Siegfried fringant, tonitruant à souhait et sachant trouver dans les moments clés toute la puissance nécessaire.
Le Gunther de Thomas Lehman, à l’image de sa sœur Gutrune, semble en retrait au début de sa prestation puis il élargit l’émission pour se mettre parfaitement à l’unisson de l’ensemble. Pour le Hagen de Albert Pesendorfer, qui n’était pas prévu initialement dans la distribution, on a l’impression qu’aucune difficulté ne peut l’arrêter. Emission facile, chaleur du timbre et toute la rouerie du personnage magnifiquement rendue. Jürgen Linn enfin est un Alberich retors à souhait. Le baryton rend bien toute la noirceur du personnage.
Nous ne reviendrons pas sur la mise en scène que Stefan Herheim propose pour ce Ring, nous l’avons fait largement pour Die Walküre; les partis pris sont les mêmes. Simplement, il semble que le voyage (thématique symbolisée par les amoncellements de valises) s’achève ici et maintenant. C’est donc aussi un voyage dans le temps qui nous est présenté puisque lorsque le rideau se lève, les boiseries et les mobiles dits « Alunos Discus » de George Baker nous indiquent bien que nous sommes dans le grand foyer du… Deustche Oper à Berlin, et les habits des spectateurs (qui entreront plus tard sur scène avec le livret de salle de Die Walküre en main) que nous sommes en 2021. Ces spectateurs se déshabilleront et revêtiront les habits des dieux du Walhalla, dont ils vont garnir les gradins. Herheim pressent-il que demain sera l’ère de l’homo deus ? Pour le reste, le piano reste omniprésent et multitâche (il aura entre autres fonctions celle d’être le cercueil de Siegfried). Nous retrouvons aussi la lubricité, la violence (une décapitation de Siegfried par Hagen qui nous a semblé bien inutile) qui seront la marque de fabrique de ce Ring 2020-2021 au Deutsche Oper.
Plus encore que pour Die Walküre, des huées farouches se font entendre à côté des applaudissements nourris. Mais nul ne s’est mépris : elles n’étaient pas destinées aux chanteurs.