Sans rien connaître de la distribution, sinon le nom du metteur en scène, et la présence d’un piano au lieu de l’orchestre, aller à l’opéra est pari un peu fou mais qui mérite parfois d’être tenté. D’abord pour l’ouvrage, Gianni Schicchi, trop rare à la scène, car difficile à coupler avec une autre œuvre si on le sort du Trittico. Ensuite pour la qualité exemplaire de cette production, fruit de la collaboration entre « les 2 scènes » (Besançon), les Scènes nationales de Quimper comme de Dunkerque et le Théâtre Impérial de Compiègne. Elle y achèvera sa tournée les 26 et 27 avril. Entretemps l’Opéra de Dijon a la chance de l’accueillir pour deux soirs.
En prélude à l’opéra, Memento mori a été commandé pour la circonstance à Mathieu Bonilla. Ecrite à partir d’emprunts judicieusement choisis dans l’œuvre de Puccini (y compris le Requiem), d’un langage à la fois contemporain et parodique, cette pièce réunit tous les chanteurs dont elle permet la présentation, rondement menée par Gianni Schicchi lui-même (Pierre-Yves Pruvot). Elle offre en outre l’avantage de nous familiariser avec le piano d’Emmanuel Olivier, chef de chant et artisan du projet. Si on n’oublie pas l’orchestration raffinée de l’original, il faut reconnaître l’efficacité surprenante cette version réduite. Avec la suppression des témoins du notaire (le cordonnier Pinellino et le teinturier Guccio), dont les répliques sont confiées à ce dernier, ce sont les seules libertés prises par le projet, sans qu’il en souffre. En effet, la mise en scène, le décor, les costumes très caractérisés, une direction d’acteur millimétrée, tout concourt à faire de cette farce caustique un moment de bonheur. La connivence avec l’auditeur est constante. La plus grande fidélité au livret et aux didascalies n’interdit pas, ô combien, les clins d’œil, les références qui participent à une jubilation permanente. Ainsi, à la recherche du testament, un seau de florins étincelants et sonores est-il renversé d’une étagère, ainsi le pianiste interpellé par Rinuccio lui cède son clavier, pour aller quérir Gianni Schicchi, et apparaît en culottes courtes puisqu’il est Gherardino, âgé de sept ans dans le livret… La mise en scène, efficace et inventive à souhait, ne tombe jamais ni dans la facilité, ni dans la trivialité.
© Simon Gosselin
De la partition, où les ensembles dominent, toujours animés, toniques, vifs, souvent de caractère récitatif, nous retiendrons les trois airs, un pour chacun des principaux protagonistes. Celui de Rinuccio, confié à Samy Camps, pour commencer, où il brosse le portrait de Gianni Schicchi. Loin de l’air de ténor traditionnel, il n’en a pas les séductions habituelles mais la justesse du ton, l’intelligence du texte et les qualités vocales. Lauretta, Sandrine Buendia, chante son célèbre « O mio babbino caro » de façon exemplaire. La voix est fraîche, longue, la conduite et les couleurs sont bien là. La jeunesse, la vivacité du jeu emportent la conviction. Pierre-Yves Pruvot campe un grand Gianni Schicchi, avec la palette expressive la plus large. Nous chanterions bien avec le notaire « Ah, quel homme ! » Sa large tessiture de baryton est enrichie des émissions les plus surprenantes : voix parlée, nasale, contrefaite, falsetto, râle, sifflement… C’est par ailleurs un excellent comédien à la verve et à l’autorité rares. « Addio Firenze » est un morceau d’anthologie, suivi du beau chœur à l’unisson, consterné. Retenons aussi le beau trio des femmes (Nella, La Ciesca et Zita) lorsqu’elles habillent et couchent Giovanni Schicchi à la place du défunt. Les voix s’accordent à merveille pour exprimer toute l’hypocrisie de la séduction vénale. L’équilibre du chant et la caractérisation de chacune d’elles y sont parfaitement réussis. Chacun devrait être cité, Simone (Ronan Nédélec, très belle basse) tout particulièrement. La distribution ne comporte aucune faiblesse. L’ensemble est d’une cohérence, d’une vie que l’on rencontre rarement. Il serait dommage que cette production exceptionnelle s’arrête à Compiègne. Souhaitons-lui la plus large diffusion.