En ce 10 octobre 2017, il aurait eu 204 ans. Il, cet enfant présenté à l’état-civil de Busseto par son père et déclaré sous les prénoms Joseph, Fortunin, François, sans que l’on sache si le troisième était un hommage à l’administration française ou l’indice d’une dévotion particulière envers le saint patron d’Assise. Ce nouveau-né voua sa vie à la musique, et son nom de famille devint même un signe de ralliement pour les patriotes italiens. Aujourd’hui, quand on crie « Viva Verdi » les cinq lettres qui composent ce mot ne sont plus l’acronyme qui masquait une proclamation politique, mais une déclaration d’amour à l’endroit d’un compositeur que son art a rendu universel.
Mais sur la terre où il est né, célébrer cet anniversaire est une affaire de famille, et chaque année la ville de Parme, centre administratif de la région natale du musicien, se rassemble autour de sa statue. Sauf cette année, car des travaux destinés à agrandir l’espace et faciliter l’accès ont entraîné un repli dans le foyer du Teatro Regio. En fin de matinée une foule dense de gens du cru et de dévôts étrangers – une importante délégation allemande – a écouté avec attention les propos du premier magistrat et de la surintendante du théâtre, confiants dans l’avenir du Festival Verdi, avant de fredonner le « Va pensiero » entonné par deux choeurs associés, dont celui du Regio, avec toute la ferveur imaginable.
Recueillement et émotion le matin, la fête le soir : un concert composé d’extraits d’oeuvres du Maître avec le concours de quatre chanteurs émérites accompagnés au piano par Beatrice Benzi. Soprano, mezzo-soprano, baryton, et deux ténors. Nous ne détaillerons pas les interprétations de chaque pièce : la générosité des interprètes qui se sont rendus disponibles en prenant sur leur temps de repos entre d’autres engagements interdit d’avance de critiquer d’éventuelles imperfections. Réjouissons-nous plutôt de cette réunion de talents différents et complémentaires.
Ainsi le bonheur que nous a donné John Osborn, dans les trois extraits de Jérusalem, de Rigoletto et de Traviata, n’a probablement pas été partagé au même degré par certains auditeurs qui, à ce chant suprêmement stylé, à ces agilités et ces demi-teintes belcantistes, à ces modulations constantes de l’intensité, à cette émission si contrôlée qu’elle peut sembler manquer de générosité, ont préféré l’impact du timbre et l’intensité charnelle de la voix de Stefano La Colla, dans l’extrait de Macbeth ou plus encore dans celui de La Forza del destino, où elle est pleine d’une ardeur rayonnante. Mais personne n’a résisté au Melitone bourru et mordant de Roberto De Candia, qui démontrera plus tard sa versatilité expressive avec la sollicitude inquiète de Renato dans Un ballo in maschera. L’émission de Martina Belli, qui nous avait séduit en Smeton sur la même scène, ne semble pas aussi franche qu’on pourrait le souhaiter, pour l’extrait d’Oberto aux vocalises encore si rossiniennes, mais se libère pour l’air de Fenena extrait de Nabucco où l’empreinte de la prière de Moïse est clairement perceptible. Il revient à Anna Pirozzi, probablement l’interprète la plus «verdienne» de tous, d’interpréter tour à tour Amalia dans la magnifique scène du cimetière du Ballo in maschera , Lady Macbeth dans « La luce langue » et la Leonora de La forza del destino. La voix est généreuse, homogène et solidement contrôlée, et le public est cueilli de plein fouet par la hardiesse du registre aigu comme subjugué par la maîtrise technique des piani. Peut-être nous aurait-il fallu oublier, dans ces pages très célèbres, des interprétations qui, sans être supérieures sur le plan vocal, nous émeuvent davantage par leur complexité pour nous abandonner à l’hédonisme du son. L’intensité dramatique était en tout cas au rendez-vous avec le trio du second acte du Ballo, dont Anna Pirozzi, Stefano La Colla et Roberto de Candia restituent l’ironie tragique, parfaitement soutenus comme du reste tout au long du concert par la vigilante Béatrice Benzi.
Directeur du comité scientifique du Festival Verdi, et par ailleurs directeur du département Musique à l’Université de Southampton où il enseigne la musicologie, le professeur Francesco Izzo avait introduit le concert et les airs, en les resituant dans la production de Verdi, d’abord en italien, ensuite en anglais, ce qui n’a pas manqué d’alourdir la présentation. Faut-il préciser qu’il a en revanche obtenu un franc succès quand, après que tous les chanteurs sont revenus pour le salut final, il a donné le signal de l’entrée aux sommeliers porteurs de bouteilles rebondies de vin mousseux. Tandis que six danseurs évoluaient sur le scène au son de la valse du Guépard, chaque spectateur a reçu sa flûte et a pu la lever à la santé ou du moins à la mémoire de Verdi, tandis que les chanteurs entonnaient évidemment le Brindisi de La traviata. C’est dans cette euphorie que Parme a célébré dignement ce deux-cent-quatrième anniversaire, au coeur du Festival Verdi 2017.