La pianiste et pédagogue Eliane Richepin avait créé, dans les années 1970, le Centre Musical International d’Annecy. Depuis, sous des formes diverses, l’ancien fief de la famille de Savoie a maintenu la manifestation. En 2010, toujours sous la houlette de Pascal Escande, disciple de la musicienne, et avec le concours du mécénat d’Andrey Cheglakov et de sa fondation AVC Charity, est né l’Annecy Classic Festival. Si l’essentiel de la manifestation est dédié à la musique instrumentale, et d’abord au piano, l’art vocal n’en est pas absent, comme l’atteste l’atelier auquel participe la Maîtrise de Paris et, ce 29 août, ce concert intitulé Opéra Gala.
Le programme en est conçu de manière plus subtile qu’il n’y paraît : à première vue c’est juste un florilège de tubes « grand public ». Mais La forza del destino en fait-elle vraiment partie ? Pourtant sa présence est en quelque sorte obligée, puisque c’est à Saint-Pétersbourg que l’oeuvre fut créée et qu’à Annecy l’Orchestre Philarmonique de Saint-Pétersbourg est en résidence pour la semaine ! Qui sait, les chanteurs solistes ont peut-être pour partenaires des descendants des musiciens que dirigea Verdi ? Leur chef attitré, Yuri Temirkanov, a cédé le podium à Fayçal Karoui, dont la réputation n’est plus à faire. Cette phalange aguerrie démontre dès le Prélude de La Traviata sa réactivité et les qualités supérieures de ses cordes. La plainte qui naît sous les archets est aérienne et déchirante, comme l’adieu à la vie de la malheureuse, et porte d’autant plus que sobrement dépourvue de surenchère sonore. Cette élégance et cette musicalité seront aussi au rendez-vous pour l’Ouverture de La forza del destino donnée en début de deuxième partie, la direction de Fayçal Karoui sachant trouver les changements dynamiques qui font de cette page un tableau frémissant des passions contenues dans l’opéra. C’est à ces deux pièces que se limite la contribution soliste de l’orchestre, l’essentiel du concert étant bien réservé à des airs d’opéra.
Lauréate d’Opéralia (3e prix opéra) et soliste du Bolshoï, surtout connue en Russie et à Vienne, Dinara Alieva interprète tour à tour des airs de la Leonora du Trovatore, Floria de Tosca, Violetta de La Traviata, Elena des Vêpres siciliennes, Leonora de La forza del destino et Mimi de La Bohême. L’étendue de la voix, sans être exceptionnelle, est suffisante pour lui permettre de chanter les notes les plus tendues et la projection est bonne, ce qui lui permet d’oser des pianissimi qui ornent le chant de subtilités délicates. La modestie du registre grave, jamais poitriné, et celle du trille ne suffisent pas à discréditer cette intéressante prestation. C’est plutôt le caractère un peu anonyme du timbre, où la capiteuse richesse harmonique des gosiers féminins d’Asie Centrale n’est que rarement perceptible, qui constitue pour nous la faiblesse, s’il faut en trouver une, d’une interprète par ailleurs très attentive à nuancer, à défaut de colorer vraiment. Avec son partenaire elle semble se lâcher davantage dans les duos de La Traviata et de La Bohême placés en clôture de chaque partie du concert. Le ténor René Barbera, couronné de trois prix en 2011 (opéra, zarzuela et prix du public) fait irruption en scène avec la fougue du Tonio dont il doit chanter l’air de bravoure aux neuf contre-ut, ce qu’il fait avec éclat, avant d’ébaudir le public déjà conquis par sa versatilité avec un Nadir tout en raffinement, mêlant falsetto et voix mixte aux demi-teintes, précédant un Alfredo ardent mais attentif et tendre, dans le duo où Violetta et lui se grisent d’illusions. Après l’entracte il sera Leandro, l’amoureux révolté de la zarzuela remise en lumière par Placido Domingo, puis son antithèse, l’arrogant Duc de Mantoue et ses rodomontades vocales, avant de retrouver Dinara Alieva pour le duo final du premier acte de La Bohême, avec des mimiques exprimant la satisfaction du séducteur opportuniste qui vient d’« emballer » tandis que sa partenaire semble sincèrement croire à ce qu’elle chante. Dans l’un et l’autre duo les voix s’associent avec bonheur, au grand plaisir de l’auditoire. L’orchestre est un soutien infaillible des chanteurs, et Fayçal Karoui veille à le faire briller à chaque fois que les airs le demandent. Harpe, hautbois, flûtes, cuivres, autant de pupitres qui se distinguent et seront à l’honneur aux saluts. Enregistré pour la télévision par Médici, le concert n’a pas traîné en longueur, les chanteurs se croisant au bord de la coulisse. Il faudra pourtant contenter un public qui en redemande : par deux fois, signe évident de la brièveté des répétitions, la soprano et le ténor entonneront le Brindisi de La Traviata, sous les battements rythmés du public. Une réunion de l’équipe dirigeante devait, dans l’après-midi, déterminer la place qu’aurait le lyrique dans l’édition 2016. La réponse populaire est sans ambigüité : encore !