Paradoxe climatique, le réchauffement de la planète nous vaut en cette fin de mois d’avril des températures glaciales, largement responsables du virus grippal qui depuis plusieurs semaines fait éternuer Paris. Cela n’est pas sans incidence sur la version de concert de Don Carlo proposée par le Théâtre des Champs-Elysées, qui voit trois de ses interprètes annoncés souffrants. Passe-misère pour Ramon Vargas. Nous aurions vraiment aimé entendre cette voix d’or dans le rôle-titre mais son remplaçant, Stefano Secco, a de l’énergie à revendre, ce qui n’exclut pas quelques demi-teintes bienvenues. L’endurance et une quinte aiguë victorieuse viennent compenser un métal plus ordinaire. Soyons reconnaissants à Ludovic Tézier (Posa) et Barbara Frittoli (Elisabeth) d’avoir accepté de chanter malgré une méforme flagrante. Le défaut d’éclat du baryton, plusieurs sons hasardeux sont assurément imputables à la maladie. Le legato reste somptueux et aucune note n’est omise, quand certains de ses confrères ont tendance, par facilité, à simplifier la phrase musicale. L’état de santé de la soprano apparait plus préoccupant ainsi qu’en témoignent le mouchoir qu’elle tient constamment à la main et de nombreux aigus vinaigrés, émis à l’arraché. Reste à savoir si le grave, peu audible, et le large vibrato sont entièrement dus au coup de froid.
Les intempéries semblent en revanche avoir épargné Daniela Barcellona qui réussit à franchir presque sans encombre le large fossé séparant le contralto rossinien du mezzo-soprano verdien. La chanson du voile est ciselée avec délicatesse. De la part d’une habituée de Pesaro, c’est bien le moins qu’on puisse attendre. A peu d’exceptions près, son Eboli s’impose sur toute la longueur sans défaut de volume, avec une conviction qui emporte l’adhésion. Encore plus applaudi par un public étonnamment enthousiaste, Ildar Abdrazakov offre de Philippe II une interprétation mémorable. Le chant, drapé dans une étoffe sombre, possède une noblesse de circonstance. A ces qualités vocale et musicale s’ajoute un sens théâtral qui donne à chaque mot son juste poids et suscite enfin l’émotion. Face à un roi d’Espagne de cette envergure, le Grand Inquisiteur de Marco Spotti, basse trop claire même si valeureuse, ne parvient pas à s’imposer.
La version italienne en quatre actes de l’opéra de Verdi justifie-t-elle les accents risorgimentaux avec lesquels Gianandrea Noseda dirige la partition ? Si le Chœur du Teatro Regio Torino s’adapte au rythme auquel il est soumis, l’orchestre a plus de mal à suivre la cadence. Les cuivres notamment ne sont pas toujours d’équerre. L’équilibre sonore, avec les chanteurs mais aussi entre les différents pupitres, s’avère souvent compromis par la fébrilité de la direction. Pour un autodafé orgiaque, combien de mouvements bousculés, sans que ces poussées de fièvre inappropriées ne puissent être mise sur le compte du réchauffement climatique.