Drôle de programme pour cette tournée des forces de l’opéra de Turin à Paris… Un peu frustrant même, car on sent la soirée véritablement décoller, qu’elle est déjà finie !
L’apogée est en effet atteint lors de la scène finale d’I Vespri Siciliani (duo « La brezza aleggia intorno » suivi de la grande scène, du trio et du chœur final). Malgré le Procida en retrait de Michele Pertusi, malgré la version de concert, on est enfin dans le drame, qui aboutit au massacre des français, au son du puissant chœur final. Et comment pourrait-il en être autrement ?
Sondra Radvanovsky est en effet tout simplement superlative en Elena, surpassant le souvenir que nous avions gardé de son Hélène à l’Opéra Bastille en 2003. Déjà le célébrissime Boléro (« Merce, dilette amiche ») attaqué à froid nous avait fait entendre des raffinements inhabituels pour une voix de ce gabarit, avec allègements, trilles et notes piquées. Mais c’est dans le final que s’épanouissent les qualités de cette voix hors norme : registres parfaitement homogènes, projection impressionnante, aigus puissamment dardés, tout cela magnifié par un beau tempérament dramatique. Ce concert, après sa Leonora du Trouvère au Met en avril, vient nous rappeler, s’il était encore besoin, que nous tenons ici LA soprano verdienne de notre époque. A quand ses prochains engagements à Paris ?
Elle forme un couple excitant avec un Gregory Kunde en très grande forme. Le premier air du ténor américain (« Giorno di pianto, di fier dolor ») surexpose quelque peu les griffures du timbre et les grisonnements du bas medium. Mais on passe outre très facilement face à l’engagement de l’interprète qui assure crânement la tessiture tendue, jusqu’au suraigu, osant même un contre ré (en voix de tête) dans son duo avec Elena. Dire qu’apparemment il chantait la veille dans Les Vêpres Siciliennes (en version originale cette fois) à Naples… Quelle santé ! Michele Pertusi, que l’on a admiré récemment en Gouverneur du Comte Ory à New York ne trouve pas en Procida son meilleur emploi. Si le style est toujours impeccable, la basse italienne semble égarée dans cet emploi qui demande mordant, extrême grave sonore, noirceur de timbre, qualités qui lui sont étrangères. Le « O tu Palermo » (suivi de sa cabalette) passe relativement inaperçu dans ces conditions.
Enfin, le drame n’aurait pu prendre toute sa mesure sans la direction enflammée de Gianandrea Noseda. Certes sa battue dynamique peut parfois sembler manquer de poésie dans les passages plus tendres et fait ressortir le côté un peu fanfare de l’ouverture, mais l’on ne retient ici que l’urgence qu’il insuffle à la partition, en osmose totale avec son orchestre du Teatro Regio di Torino, virtuose et aux belles sonorités (les vents !).
Nous sommes vaincus, mais c’est déjà la fin du concert. Adoucissant un peu notre frustration, les artistes accordent un bis du final, accueilli par une standing ovation.
Restent alors des questions en suspens. Pourquoi avoir programmé deux ouvrages si différents dans une même soirée ? Ils sont certes le fruit d’un même compositeur… Mais c’est un peu maigre comme argument. D’autant que les rares Pièce sacrées auraient mérité un habillage un peu plus seyant. Le chœur, brillant et puissant dans les Vêpres, est ici fortement sollicité, chantant régulièrement a capella. Il y révèle malheureusement par la même occasion ses limites, homogénéité parfois déficiente des pupitres et attaques manquant de franchise. De même, pourquoi n’avoir choisi que quelques extraits des Vêpres Siciliennes, ces numéros disparates prenant une allure de récital, peu propice à l’émergence d’une quelconque émotion : avec de tels interprètes nous aurions pourtant eu des Vespri Siciliani complètes de très haute volée. Enfin comment a été établie la sélection, qui nous prive du plus bel air d’Elena : « Arrigo ! ah parli a un core » ?
Mais qu’importe on aura eu un superbe final qui à lui seul justifiait amplement la soirée.