Trente-trois ans après la création des Arts Florissants, l’interprétation des œuvres de Marc-Antoine Charpentier par l’ensemble dirigé par William Christie reste un véritable bain de jouvence. À Ambronay, familier des lieux, où il a dirigé à plusieurs reprises l’Académie baroque européenne, le chef sait conserver la fraîcheur d’une interprétation subtile et enthousiaste, d’où se dégage un sentiment de perfection difficilement égalable. On fête ce soir sainte Cécile, patronne des musiciens, et le retour du fils prodigue, à travers deux petits oratorios de Charpentier séparés par un motet pour les trépassés. Nouvelle floraison pour Caecilia virgo et martyr et Filius prodigus, puisque ces deux œuvres figuraient sur l’un des tout premiers enregistrements des Arts Florissants, un CD de 1980 chez Harmonia Mundi. Dans l’Abbatiale, les jeunes et talentueux chanteurs réunis sous la baguette du maître expérimenté font preuve d’une expressivité maîtrisée, d’un lyrisme nuancé qui communique une émotion musicale d’une rare intensité. Donnés sans entracte, les trois moments de ce concert forment les trois parties d’un discours musical dont la structure rhétorique met en valeur la diversité des affects.
On sait que Charpentier a composé pas moins de quatre versions différentes du martyre de sainte Cécile. La version choisie ici (H. 413) utilise l’intégralité du texte relatant la manière dont Caecilia convainc son mari romain Valerianus d’accepter le baptême chrétien, accompagné de son frère Tiburtius, ce qui leur vaut d’être condamnés à mort par le tyran Almachus. Dans la seconde partie, les menaces d’Almachus alternent avec l’expression de la foi ardente de Caecilia, accueillie à la fin par les anges et chantée par le chœur des fidèles. D’emblée, après une brillante introduction musicale, Rachel Redmond (dessus) prête à Caecilia sa voix raffinée et son timbre clair, entrant en dialogue avec Valerianus, interprété avec une ferveur concentrée, un timbre velouté et un phrasé impeccable par Benjamin Alunni (taille), tandis que Reinoud van Mechelen donne à Tiburtius les inflexions lyriques de sa voix souple de haute-contre. Violaine Lucas (dessus) tient la partie du Narrateur (Historicus) avec talent, ménageant un équilibre entre la dimension déclamatoire du rôle et l’empathie requise. Le tyran est incarné avec autorité par la solide basse de Luigi De Donato, doté d’un sens dramatique remarquable. Élodie Fonnard et Virginie Thomas (dessus) donnent aux anges une élévation inspirée. Il faut souligner la qualité du chœur des fidèles – notamment dans la déploration « Heu, nos dolentes » – qui ponctue les épisodes de ce qu’on pourrait qualifier de dramma per musica en miniature, éloge du pouvoir rédempteur de la musique.
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Le Motet pour les trépassés, œuvre de circonstance commandée par la maison de Guise, met en valeur, aux côtés de Rachel Redmond et Élodie Fonnard, la basse Geoffroy Buffière, dont la voix robuste et flexible à la fois s’allie à celle des voix de haute-contre (Reinoud van Mechelen) et de taille (Benjamin Alunni) pour le magnifique trio vocal masculin exprimant la douleur (« Hei mihi Domine »).
L’histoire sacrée Filius Prodigus reprend le texte de la parabole évangélique (saint Luc 15, 11-31). S’ajoutent ici aux interprètes déjà entendus comme solistes la très belle voix de basse profonde de Pierre Bessière, incarnant le père, dans des échanges superbes avec la voix particulièrement émouvante de Reinoud van Mechelen, qui déploie dans le rôle du fils prodigue un lyrisme puissant servi par l’aisance de l’émission des aigus, de toute beauté. Il faut citer aussi les prestations de Thibaut Lenaerts (taille), qui chante la partie du fils aîné, et des narrateurs, comptant, outre Violaine Lucas, Benjamin Alunni et Geoffroy Buffière, le haute-contre Marcio Soares Holanda.
L’ensemble toujours florissant et ainsi refleurissant donne trois bis, avec une vitalité et une jubilation sonore qui emportent l’auditoire. Là encore, la diversité et la richesse des timbres et des couleurs fait merveille : il s’agit de la scène finale de David et Jonathas (Achis est ici interprété par Geoffroy Buffière), puis de l’Agnus Dei final de la Messe pour les trépassés, enfin de la reprise du chœur des serviteurs de l’oratorio Filius prodigus. Dans le juste respect des proportions du programme, les bis nous offrent en miroir une synthèse éloquente des œuvres entendues, qui laissent le public dans le ravissement.
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