II ne suffit pas d’aligner une simple brochette de vedettes du chant pour réussir une Traviata. Preuve nous en est donnée avec cette reprise un peu décevante du chef d’œuvre de Verdi.
A la vérité, je n’attendais pas trop de la Violetta de Renée Fleming. Il y a plusieurs années, sa prise de rôle à Houston avait mis en évidence des approximations stylistiques ainsi que de vraies limitations techniques en particulier dans son premier air ; le temps passant, il était à prévoir que les moyens ne déclinent : pas de divine surprise donc au premier acte. La chanteuse américaine est toujours d’une beauté stupéfiante, sa maturité lui apportant même un surcroit de crédibilité par rapport à des interprètes plus jeunes. Le timbre est encore superbe. Toutefois, on note déjà des tendances à sur-jouer, à sur-accentuer des mots, à la limite d’un vérisme étranger à Verdi. Les vocalises du grand air[1] sont réalisées correctement, mais avec certaines précautions, les suraigus étant toujours très tendus. Bref, on reste sur sa faim.
Les choses s’arrangent nettement au deuxième acte : le duo avec Germont est absolument magnifique d’intelligence et de musicalité. Un contrôle du souffle incroyable, des pianissimi irréels, des couleurs variées à loisir, tout y passe. Les répliques sont ciselées avec intelligence et on se demande parfois pourquoi personne avant elle n’aura eu les mêmes idées d’interprétation tant elles sont bien venues. Mais quel dommage aussi que toutes ces intentions laissent un arrière-goût de « léché », de « travaillé » … On sent par trop la recherche de l’effet (de l’effet « difficile » d’ailleurs, car il ne s’agit jamais d’effets faciles) alors que l’on voudrait croire à la spontanéité de l’émotion.
Pour la scène chez Flora, on regrettera une perte sensible dans le volume d’émission. Comme on avait pu le constater à Paris lors de sa récente Maréchale en concert, il faut parfois tendre l’oreille pour entendre Fleming. Ces réserves faites, on admirera là encore une intelligence et musicalité proprement magnifique.
Match nul au second entracte, mais le troisième acte ne permet pas au soprano américain de remporter « la belle ». Sa vision de la scène de la lettre est intense : la missive a été lue et relue, c’est comme une blessure qui ne se referme pas. Mais les choses se gâtent dans la foulée, la faute en incombant principalement au chef Antonio Pappano qui, si j’ose dire, dirige toute la dernière partie « à tombeau ouvert ». L’andante mosso de « Addio del passato[2] » est plutôt un allegro : on aurait presque l’impression d’entendre une Violetta heureuse de son prochain déménagement. Il est vrai qu’on est davantage habitué à l’infidélité inverse, c’est-à-dire un tempo plus lent que celui qu’indique Verdi. Passons sur la scène finale, d’un goût douteux : Violetta hilare court en cercle sur la scène comme un Airbus en vrille plate avant de s’effondrer en percutant un Alfredo tout aussi amusé !
Pour conclure, nous dirons que René Fleming est une Traviata qui est ne convainc pas vraiment au global mais dont appréciera quelques fulgurances uniques, en particulier un second acte franchement remarquable.
Je n’avais pas été convaincu par la voix de Joseph Calleja lors de son concert au Théâtre des Champs Elysées mais les progrès de l’artiste sont notables. La technique d’émission est mieux maîtrisée et le vibratello des débuts disparait dès la fin du premier acte. Surtout, voici enfin un jeune ténor avec une voix est sonore : quel soulagement lorsque les vedettes du jour – Villazon ou Kaufmann pour ne pas les citer – peinent à se faire entendre par-dessus un orchestre quand on les sépare de leur meilleur ami, le micro. Certes, le bas medium reste un peu engorgé, mais les aigus sont lumineux (on note un beau contre-ut[3] en coulisse au premier acte dans les répliques à Violetta). Mais le compte n’y est tout de même pas : c’est un Alfredo tout d’une pièce qui nous est offert, chantant un peu toujours de la même manière et ne proposant qu’une palette limitée d’expressions scéniques. Il n’en reste pas moins que l’artiste peut convaincre par la sympathie qu’il aspire : pour preuve, c’est finalement lui qui remporte la palme à l’applaudimètre.
On n’attendait pas Thomas Hampson dans un tel rôle. Et là, quelle surprise ! Certes, Hampson n’est pas miraculeusement devenu un baryton Verdi du jour au lendemain, mais les aigus sont désormais lumineux (au détriment de graves moins sonores, cela dit). L’intention donnée aux mots est remarquable, sans que l’artiste essaie de faire du lied. La musicalité est parfaite (le duo avec Violetta, déjà cité, est tout simplement une merveille). Le « Di Provenza[4] » est magnifiquement ciselé et varié entre les couplets. Le personnage enfin, est à la fois original et juste, en particulier la scène du bal chez Flora, où Hampson campe un Germont animé d’une colère foide, crachant presque son texte, là où nous avons l’habitude d’entendre une indignation petite-bourgeoise un peu grandiloquente. Il n’y a guère qu’au dernier acte qu’Hampson retrouve certains de ses défauts habituels, notamment le fait d’attaquer les notes un peu haut en les aboyant : péché véniel au regard de l’ensemble de sa prestation.
Trois grands chanteurs réunis donc, avec des prestations plus ou moins satisfaisantes (plutôt plus que moins d’ailleurs), mais un trio trop hétérogène pour faire de cette Traviata la réussite espérée.
Antonio Pappano n’est pas totalement étranger à cette déception. Au-delà du tempo aberrant du troisième acte déjà cité, le chef peine à assurer une tension permanente. A sa décharge, il a fort à faire avec un orchestre et des chœurs, certes en progrès depuis son arrivée, mais pas toujours très attentifs[5].
A noter enfin des comprimari excellents, bon chanteurs et bons acteurs : une bonne maison se reconnait aussi à la qualité des seconds rôles qu’elle emploie.
On ne reviendra pas sur la production de Richard Eyre, vieille de 15 ans et déjà évoquée à l’occasion de la reprise avec Netrebko : une production d’une intelligence rare et d’une beauté stylisée dont personnellement, je ne me lasse pas !
[1] Formule classique : un seul verset de la partie lente et cabalette sans suraigu.
[2] Les deux couplets sont donnés
[3] Bizarrement, Calleja ne donne qu’un seul couplet de la cabalette d’Alfredo, sans aigu final.
[4] La rare cabalette de Germont est ici rétablie, mais sans reprise.
[5] C’est même la débâcle dans le « Si ridestainciel l’aurora » : chacun pour soi, rendez-vous au point d’orgue !
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