Difficile de se souvenir d’autre chose que de ce Florestan : « Gott ! », « O namenlose Freude » et quelques récits, il aura fallu peu de temps à Michael Spyres pour éclipser totalement tous les autres artistes. Tous les chanteurs sont pourtant très probes et bien chantants, mais l’acte I sent la gentille et qualitative routine d’une salle de second rang. Charmant Jaquino de Linard Vrilink ; la Marcelline de Mari Eriksmoen a ce qu’il faut de métier et de talent pour charmer sans minauder ; le Rocco d’Albert Dohmen est aussi sonnant que bonhomme sans jamais prétexter l’âge du personnage pour s’autoriser un chant débraillé. Affable Don Fernando de Christian Immler. Tous évoluent avec entrain dans un livret qui ne leur accorde pourtant aucune épaisseur pyschologique. Le Don Pizzarro de Gabor Bretz est par contre trop limité en projection et en noirceur du timbre pour incarner pleinement ce grand méchant caricatural. Souffrante, Siobhan Stagg incarne Leonore sur scène mais c’est Katherine Broderick qui chante en fosse : intense, vocalisant bien, bonne styliste malgré un registre aigu tendu, il manque cependant plus de flamme et d’abandon pour consumer personnage et audience ; peut-être était-ce dû au manque de répétition avec le chef.
On se souviendra encore moins de la mise-en-scène : Cyril Teste est toujours friand de vidéo, notamment captées et retransmises en même temps. Si l’ouverture est l’occasion de résumer les raisons du travestissement de Leonore, elle permet aussi d’espérer une justification du dispositif puisqu’elle s’achève sur la mosaïque des caméras de surveillance. Hélas le panoptique carcéral s’arrêtera là, et la vidéo sera ensuite l’occasion vaine de multiplier les points de vue mobiles sur la scène et son action. On y gagne plus un mal de crâne qu’une nouvelle perspective sur l’œuvre malheureusement. A côté de cela, le ballet des écrans, des chanteurs, des comédiens est très bien réglé. L’arrivée des enfants pour le chœur des prisonniers est agréable. La transposition à l’époque contemporaine fonctionne bien, on se souvient de la Theodora de Sellars. Mais voilà, Fidelio souffre toujours d’un livret bancal en manque de tension dramatique. On regrettera en revanche, non la modernisation des dialogues, mais leur sonorisation et les coups de feu répétés qui assourdissent le spectateur et l’empêchent de goutter la beauté de la musique qui suit immédiatement.
A la tête de son orchestre Pygmalion, Raphaël Pichon joue les baroqueux : tempi vifs, beaucoup de contrastes, attaques brutales, exagérations (les pauses à la fin de l’air d’entrée de Florestan !). On ne s’ennuie pas, mais, en dehors de plusieurs moments de grâce (notamment le premier quartet de l’acte I), on a du mal à respirer, cela sonne souvent sec et le final court sans jamais décoller, même s’il fait se lever les musiciens. C’est d’autant plus étonnant que leurs interprétations de Mendelssohn ou Mozart, pour prendre des compositeurs germaniques contemporains de Beethoven, ne souffrent pas de cette sécheresse empressée. Le chœur Pygmalion par contre est absolument superbe : exemplaire dans la prononciation (les allitérations de « O welche Lust » !) et l’harmonie, on aimerait que Beethoven soit toujours chanté avec cette excellence aussi humble que puissante.
Alors qu’il en appelle à Dieu et se plaint de l’obscurité, Florestan tourne le dos à des écrans rétro-éclairés à la lumière blanche, sa face est paradoxalement dans l’ombre des écrans aveuglants. Ainsi apparait Michael Spyres qui à chaque note vous colle le frisson. Le célèbre « Gott ! » a pourtant failli déraper, mais fut magnifiquement rattrapé et amplifié avec une évidence solaire. Les « Danke » explosifs et doux à la fois adressés à Fidelio qui lui apporte du pain sont bouleversants. Prononciation, projection (le seul du plateau à vraiment remplir l’Opéra-comique mais sans jamais écraser ses collègues dans les ensembles), investissement théâtral, tout est prodigieux. Il ne chante que moins de 30 minutes, mais l’attente est aussi plus longue que le moment sublime lorsque l’on admire une éclipse.