Entre enfer et paradis – du nom de deux bosquets du jardin – de contretemps pluvieux en échappées ensoleillées, cette première édition du Festival « A Ciel ouvert » emporte l’auditeur de merveilles en enchantements dans le cadre sublime du domaine du Champ de Bataille.
Le décorateur Jacques Garcia, propriétaire du château, s’emploie depuis trente ans à en magnifier les superbes jardins et remeubler les salons avec d’époustouflantes pièces d’origines royales et princières. Il cherchait un nouveau souffle pour animer le lieu en été après de nombreuses éditions des « opéras en plein air ». Vincent Dumestre, de son côté, était preneur d’un nouveau projet après la fin de sa résidence à la Chapelle Corneille. Entre temps exécrable et restrictions sanitaires, il leur aura fallu audace et persévérance pour concrétiser cette entreprise commune.
Des qualités qui sont bien celles du chef d’orchestre dont la pertinence du concept s’impose comme une évidence. Son programme ne manque pas de sel : en effet, Mazarin en est le fil rouge alors que le château fut bâti par un frondeur assumé, précisément exilé sur ses terres par le tout puissant premier ministre de Louis XIV.
Mazarin « l’artiste », « le diplomate » ou « le théâtre des passions », voilà les trois parcours proposés dans l’après midi. Ces « bosquets musicaux » n’ont finalement pas pu se tenir dans les jardins en raison d’une météo grognonne mais toute la chaleur de l’Espagne était bien présente autour d’Isabelle Druet pour ce récital Danza, évocation des influences espagnoles dans ce Paris du 17e siècle où Luis de Briceño enseigne la guitare au moment où le jeune Mazarin se forme au delà des Pyrénées.
Frustrée la veille de la mort de son Triton, interrompue par une ondée malavisée, la mezzo déploie toute sa verve dans un répertoire qu’elle habite avec un naturel confondant alors qu’elle n’est pas hispanophone. Les graves sont pleins et vibrants, le timbre charnu, opulent, les aigus fruités. Tout comme elle, les musiciens font montre d’une impeccable expressivité. Le violon charnel et chaloupé de Fiona-Émilie Poupard répond aux percussions survitaminées de Joël Grare sous l’oeil complice de Vincent Dumestre à la guitare, Françoise Enock au violone et Lucas Peres à la viole de gambe. L’écoute entre les interprètes est évidente, jubilatoire. On la retrouve décuplée pour le concert du soir lorsque le Poème Harmonique se retrouve en grande forme – au propre comme au figuré – pour une évocation de l’exotisme dans la musique française au 17e siècle.
Entre temps, Justin Taylor nous avait offert un moment de pur délice pour clavecin seul, tandis que le concert prévu devant le sublime plan d’eau du temple de Léda s’était transformé en une brève mais bienfaisante parenthèse sous une pluie battante devant l’entrée du château avec la Sonata a 6 de G.B. Buonamente et le très beau Ingemisco de G. Legrenzi.
Avant un feu d’artifice véritable dans les jardins, c’est donc un bouquet musical d’exception qui nous est proposé. Le concert a courageusement été doublé pour permettre à tous les spectateurs prévus au théâtre de verdure d’en profiter dans les superbes écuries où l’acoustique est excellente. La puissance sonore est impressionnante dans cette salle close alors que l’effectif était prévu pour le plein air.
Une nouvelle fois, le programme – déjà donné notamment à l’auditorium du Louvre – enchante d’intelligence, de richesse, de sens du contraste. De la Suisse à la Chine en passant par la Turquie, il raconte, comme le souligne fort bien le chef, le tropisme du Grand Siècle pour une musique orientale quasiment inconnue mais pourtant fantasmée. C’est cette appropriation que les musiciens d’aujourd’hui réinterprètent à leur tour avec un plaisir communicatif. La star de la soirée est indéniablement l’orchestre qui allie écoute, plénitude du son, clarté des pupitres. La rythmique est toujours extraordinairement soignée comme dans les Chansons turquesques de Tessier ou encore l’épatant See hoang tsouyo ling yu tien, retranscription par le Père Amiot d’une cérémonie à laquelle il avait assisté à Pékin en 1738. A l’introduction décoiffante des percussions succède un quatuor délicieusement improbable où les quatre solistes se régalent. Leurs indéniables qualités communes – diction impeccable, sens de la ligne, du contraste – sont enrichies de celles de chacun qui trouvent un formidable terrain de jeu pour s’exprimer : sur l’ostinato de la viole de gambe, Serge Goubioud compose l’Air du Juif errant de Moulinié qui met en valeur son art des nuances, son humour comme la puissance de sa projection. Dans l’Entrée des Espagnols, c’est le naturel de l’émission qui frappe.
Claire Lefilliâtre et Geoffroy Buffière, quant à eux, donnent aux Adieux de Cadmius et Hermione une grande tendresse dépourvue d’ostentation. Elle, avec de beaux sons filés, lui avec un focus et un velours caressants à souhait. La basse avait précédemment emporté l’adhésion avec des pitreries aux couleurs remarquables dans la Chanson suissesse de Tessier, tandis que la soprano donnait toute sa mesure chez Lully où sa voix ronde aux registres bien unifiés, puissamment projetée, se fait ductile dans les vocalises.
David Tricou, enfin, sert remarquablement les ensembles avant de s’imposer pleinement dans la Chaconne des Africains où la chaleur de son timbre, aux aigus bien incarnés font merveille.
Du célèbre à l’inédit, ces « cours du Monde », tout comme les « bosquets musicaux » ou encore les « promenades sonores » de l’après-midi tissent un réjouissant patchwork, mélange détonnant de liberté, de fantaisie et de rigueur. Feu d’artifice musical avant les gerbes qui illuminent les jardins du Champ de Bataille, champ de fête, pour clore cette folle journée.