A l’Opéra Bastille, depuis quelques années, les metteurs en scène se cassent les dents sur le Faust de Gounod, sans parvenir à en proposer une lecture cohérente qui puisse dignement succéder à celle de Jorge Lavelli, qu’on aurait bien fait de conserver quelques saisons encore. Avec des moyens dont c’est peu dire qu’ils sont sans commune mesure avec ceux de l’Opéra de Paris, qu’allait donc proposer l’Opéra des Landes, pour la quinzième édition de ce festival implanté à Soustons, près de Dax ? Quand le rideau s’ouvre, on découvre un Faust actualisé, le vieux docteur étant devenu psychanalyste, et lorsque ce disciple de Freud invoque Satan, ce n’est pas une, mais trois créatures diaboliques qui entrent : un chat noir, un homme en noir portant lunettes noires, et un troisième homme en noir ayant « un riche manteau sur l’épaule », le seul à chanter pour le moment. L’inquiétante étrangeté de ces trois intrus se substitue à tout effet fantastique, et le rajeunissement de Faust attendra le deuxième acte. Lors de la kermesse, c’est l’acolyte de Méphistophélès qui interprète la Chanson du Rat, et il est assez piquant que cet autre diable ait alors pour nom Wagner… mais ce deuxième homme en noir se voit aussi confier l’air du Veau d’or. Et c’est alors que la lumière se fait dans notre esprit : le metteur en scène Olivier Tousis a lu le roman de Boulgakov, Le Maître et Marguerite, fortement influencé par le Faust de Goethe, où le diabolique magicien Woland est accompagné d’un chat maléfique et de divers autres acolytes. Cette clef de lecture reste néanmoins discrète, en dehors peut-être de la transformation finale de la prison en hôpital psychiatrique, qui sert également de cadre à certains chapitres du roman. Du spectacle réglé à Soustons, on retiendra surtout une admirable maîtrise des scènes de masse, même si l’agitation truculente de la kermesse aurait peut-être pu être estompée lors de moments comme l’air de Valentin ou la rencontre de Faust et Marguerite. Après l’entracte, les tableaux s’enchaînent de manière pleinement convaincante, en particulier un chœur des soldats transformé en incroyable défilé réunissant des militaires de toutes sortes, de 1914 à nos jours : après avoir chanté « Gloire immortelle de nos aïeux » avec les mouvements stéréotypés des guerriers, leur ultime geste est de se voiler la face.
Marguerite accueillie au paradis © Michel Carrincazeaux Morceux
Compte tenu des contraintes de la salle utilisée, la partition est donnée dans une réduction pour quatorze musiciens, que dirige avec une tension continue le chef français Philippe Forget, régulièrement invité par l’Opéra de Lyon pour des œuvres du XIXe siècle ou pour des créations contemporaines. Ainsi dégraissée, la musique de Gounod perd tout sfumato et gagne une netteté de trait qui, revers de la médaille, expose les forces et les faiblesses des instrumentistes devenus autant de solistes. L’Orchestre de l’Opéra des Landes se montre tout à fait à la hauteur de la tâche, hormis quelques quasi-inévitables couacs du côté des cuivres. Après un démarrage qui laissait craindre un léger déficit de puissance du côté des pupitres féminins, le Chœur préparé par Frédéric Herviant s’affirme comme un protagoniste avec lequel il faut compter.
L’avantage des festivals moins richement dotés que les manifestations les plus prestigieuses est de donner à entendre de jeunes chanteurs prometteurs. Le dédoublement de la figure diabolique (le chat noir ne chante pas) nous vaut deux Méphistophélès, mais un seul aurait largement suffi à notre bonheur : Jesús de Burgos s’exprime hélas avec un accent à couper au couteau et manque souvent de rigueur rythmique. Son confrère Nika Guliashvili, vu à plusieurs reprises au festival de Sanxay, possède un timbre plus opulent et une diction plus correcte, à moins que le souvenir de Boris Christoff ne rende plus indulgent face aux Méphistos slaves ; seul l’aigu gagnerait à être moins couvert, pour éviter des A transformés en O (« Porle ! » semble ordonner le diable à Faust au premier acte).
Heureusement, tous les autres personnages sont confiés à des chanteurs parfaitement francophones. Dotée d’un timbre chaleureux, Maela Vergnes compose un Siébel extrêmement crédible, en grand jeune homme dégingandé portant casquette à l’envers, tandis que Laetitia Montico est une pittoresque Dame Marthe sous son trop lourd chignon. Pierre-Yves Binard est un Valentin solide, moins marmoréen que certains barytons qui l’ont précédé dans ce personnage, très émouvant dans sa mort donnée en version complète. Pierre-Emmanuel Roubet est un Faust juvénile à souhait, à l’aigu facile, qui livre une cavatine très maîtrisée, mais qui devra simplement veiller à juguler une tendance à pousser un peu le son dès qu’il monte dans la portée. Superbe prestation enfin de Cécile Limal, que la production aide à faire de Marguerite une jeune femme bien moins nunuche que ce n’est parfois le cas. Cette soprano s’est jusqu’ici surtout produite à Saint-Céré ou en Italie, mais l’on espère que s’ouvriront bientôt pour elle les portes des théâtres de notre pays, tant elle montre de qualités d’articulation et de phrasé. Même s’il lui manque peut-être encore le trille ouvrant l’Air des bijoux, son aisance vocale en impose dans un rôle d’autant plus exigeant qu’il inclut ici la scène de la Chambre, encore trop souvent coupée sur les plus grandes scènes.
Dernière représentation ce soir à 20h30. Renseignements sur le site d’Opéra des Landes.