Lors de sa création en 2021, cette production de Faust mise en scène par Tobias Kratzer n’avajt été jouée que deux fois à huis clos avant d’être retransmise à la télévision, Covid oblige. C’est donc avec une certaine effervescence que l’on attendait de se confronter à cette transposition entre barres HLM, rames de métros et immense projection vidéo. Largement commentée et décrite dans nos colonnes en 2021, la mise en scène « grandeur nature » alterne toujours séduction et déroute. Si certains tableaux sont visuellement très réussis, comme la dernière image de la discothèque ou la scène de l’église délocalisée dans une rame de métro, d’autres surprennent, parfois malaisants (Méphisto qui se substitue à Faust dans la chambre de Marguerite, Siebel qui se sacrifie pour sauver Marguerite, Méphisto qui déclenche l’incendie de Notre-Dame) parfois proches du grotesque (Faust et Méphisto survolant Paris ou caracolant sur un cheval de bois dans ses méandres) ou pire, de l’incohérence (réactions des différent protagonistes à l’échographie, réaction de Valentin et de la « société » face à Marguerite au 21e siècle).
© Monika Ritterhaus / Opéra national de Paris
Musicalement, les réserves sont heureusement moindres, le plateau etant servi par une distribution remarquable et très homogène. Après deux actes un peu en retrait, tant du point de vue de l’interprétation, de l’implication scénique que de l’aspect purement vocal (sons trop bas à la limite de la justesse, aigus verts et peu colorés, medium très impacté par le vibrato, diction catastrophique défigurant l’air), les différents protagonistes se sont littéralement métamorphosés à partir de l’acte 3, déployant des trésors de musicalité et de couleurs.
Le Faust, complexe, torturé et profondément humain, de Benjamin Bernheim est tout simplement somptueux. Elegance de la ligne de chant, legato, notes tenues dont le contre-ut de la cavatine en voix mixte et diction limpide font du ténor français l’un des meilleurs interprètes du rôle aujourd’hui. Chacune des ses apparitions devient superlative par rapport à la précédente. Face à lui la rayonnante et radieuse Angel Blue campe une magnifique Marguerite, rôle où on espère la retrouver régulièrement. Irréprochable techniquement, bouleversante dans la scène de l’église ou dans celle de la prison, elle réussit la prouesse de faire évoluer les couleurs de sa voix avec le personnage tout au long de la représentation : très claire et céleste dans les deux premiers actes, son timbre s’étoffe progressivement de couleurs plus sombres et plus cuivrées (qui ne sont pas sans rappeler parfois une certaine Mirella Freni) jusque dans ses aigus spectaculaires ( « Mon Seigneur Mon Maître » à la fin de « Il ne revient pas » ou encore Anges purs, anges radieux, portez mon âme au sein des cieux »
Véritable prince des ténèbres, Christian Van Horne campe un Méphisto hauts en couleurs, facétieux, qui se délecte de chaque situation. Très engagé dans la Ronde du Veau d’Or au rendu vocal exotique, tour à tour charmeur face à la délicieuse Dame Marthe de Sylvie Brunet – qui parvient à rendre le rôle intéressant et attachant tant elle le domine – puis terrifiant dans la scène de l’église, la basse américaine déploie des trésors de graves soyeux et profonds Mêmes commentaires pour le Valentin de Florian Sempey. Peut-être un peu trop démonstratif dans l’air de la médaille qu’on a entendu plus intériorisé, le baryton français épouse en revanche chaque intention du personnage submergé par la colère et le dégoût, jouant sur une palette de nuances époustouflantes.
L’autre belle surprise de la soirée vient du magnifique Siebel de la mezzo canadienne Emily d’Angelo, dont l’air « Faites lui mes aveux » fut exécuté à la perfection (magnifique projection, phrasé somptueux)
A noter aussi la belle prestation des choeurs et de l’orchestre sous la direction de Thomas Hengelbrock.