Le spectateur d’opéra est-il si versatile ? La mise en scène de Nadine Duffaut, sifflée lors de la création de cette production à Avignon (voir le compte rendu de Tania Bracq) est chaleureusement applaudie ce soir à Massy. A-t-elle effectué des modifications au regard de l’accueil initial, la distribution d’aujourd’hui est-elle plus attentive à ses indications, ou le public est-il à ce point différent ? Difficile de répondre, mais dans l’ensemble, malgré ses incongruités et la laideur de certains costumes, le spectacle se laisse suivre sans déplaisir, et l’ensemble du parti pris (un vieux Faust qui regarde défiler sa vie) fonctionne plutôt bien. De plus, contrairement à Avignon, le surtitrage est bien présent, et n’est pas inutile à certains moments.
En fait, les deux éléments qui emportent, eux, une totale adhésion, sont la direction d’orchestre et le plateau. On sait la passion de Cyril Diederich pour le théâtre lyrique. Il insuffle à ce Faust quand même un peu rabâché une jeunesse, une vigueur et un allant qu’on avait un peu oubliés, et même s’il met parfois les chanteurs en danger (notamment dans la scène de l’église et plus encore dans le final « Anges purs, anges radieux… » qui sont expédiés à une étonnante rapidité), c’est au profit d’une vraie force dramatique. De son côté, l’orchestre révèle sous sa baguette des finesses instrumentales rarement entendues, et dans la partition quelques moments d’un modernisme inattendu. L’intérêt de cette représentation lui doit beaucoup.
© Photo Didier Pepin
Quant au plateau, c’est le règne de la jeunesse, hormis bien sûr le vieux Faust fort bien interprété par Antoine Normand. Si Jérôme Varnier est déjà titulaire d’un nombre impressionnant de rôles, les deux protagonistes principaux sont plus jeunes et commencent de belles carrières. Pour tous les trois, il s’agit de prises de rôles tout à fait remarquables (pour Méphisto à Avignon en juin dernier). Thomas Bettinger, dans le rôle titre, déploie d’indéniables qualités musicales. La voix est chaude, puissante et bien menée, parfaitement adaptée à l’écriture de Gounod, l’articulation parfaite, et le jeu scénique naturel. Les atermoiements du personnage sont bien rendus, et les duos avec Marguerite fort harmonieux à tous points de vue.
Ludivine Gombert continue de prouver qu’elle n’est pas seulement une excellente Grande prêtresse dans Aïda. Ses prises de rôles principaux, qui se succèdent à bonne cadence, montrent une solide réflexion et une grande intelligence. Sa Marguerite est à la fois sensible, naturelle et contemporaine, entraînée malgré elle dans une aventure qui la dépasse. Sa voix, solide et bien projetée, s’est un peu corsée, et correspond ainsi parfaitement au rôle, dont elle a bien l’étendue de la tessiture. Se riant des questions techniques, elle ne paraît pas gênée par la lourdeur du rôle, ni par la cadence imposée par le chef.
Jérôme Varnier est de son côté un Méphisto servi par un physique le distinguant immédiatement. Grand, mince et longiligne, il joue de ses bras pour imprimer ses volontés, sauf quand quelque croix le paralyse à l’instar des vampires du cinéma. Côté voix, des graves parfaitement assurés et un médium velouté sont mis au service d’un phrasé souple et intelligent. Mais sa liberté de jeu sur scène est parfois un peu entravée quand il regarde trop le chef, ce qui n’est pas sans incidence sur sa voix, dont par ailleurs l’articulation n’est pas toujours parfaitement intelligible.
À côté des excellents Siebel de Samy Camps et Wagner de Philippe Ermelier, Jeanne-Marie Lévy (Dame Marthe) et Régis Mengus (Valentin) complètent cette distribution homogène que viennent renforcer les chœurs d’Avignon et de Massy, bien chantants mais un peu justes en nombre.