Opéra charnière entre des débuts conventionnels et les chefs-d’œuvre de la maturité, La Finta Giardiniera a mis longtemps à s’imposer au répertoire des grandes salles européennes, et ce n’est pas tout à fait par hasard. L’œuvre qui hésite sans cesse entre opera seria dont elle a la structure et opera buffa dont elle a le ton, souffre d’un livret trop faible et comprend bien des longueurs, que le plupart des metteurs en scène s’empressent de couper. C’est le cas aussi de la présente production, qui a laissé de côté une demi heure au moins de musique, sans pour autant réussir à resserrer suffisamment le propos pour capter l’attention du spectateur. La façon inhabituelle dont Vincent Boussard et Andreas Spering traitent les récitatifs, décortiquant chaque phrase, s’appesantissant sur des mots clés supposés chargés de sens, entrecoupés de longs silences de suspensions, nuit gravement à la fluidité du discours musical et à la légèreté du propos, au point d’en devenir rapidement exaspérant et d’allonger inutilement le spectacle.
Les mouvements incessants des personnages, qui parcourent la scène en tous sens sans aucune nécessité, qui s’agitent en vain, courent et remuent l’air, n’aident pas non plus à la concentration de l’intrigue ni à la compréhension du propos. Les mêmes gestes sans cesse répétés, redondants avec la musique, les personnages soudain immobilisés pour chanter leur air, la superposition de détails insignifiants, tout cela sent le manque d’inspiration d’une mise en scène et d’une dramaturgie qui n’ont pas trouvé leur voie. Certaines scènes de la deuxième partie échappent même complètement à l’entendement du spectateur et lorsqu’au final, les trois couples enfin réunis chantent l’heureuse conclusion de leur rocambolesque aventure, ils sont présentés en ordre dispersé, l’un sur la scène et les deux autres dans la salle, sans lumière ni raison. Dieu qu’il paraît compliqué de faire les choses simplement en donnant du sens à ce qu’on fait !
Car enfin, tous les éléments semblaient réunis pour concourir à la réussite du spectacle : un lieu splendide pour décor naturel, celui du domaine du Grand Saint-Jean au couché du soleil, ciel sans nuage respirant le bonheur d’être au monde, une acoustique étonnamment flatteuse devant les murs de l’ancien château, des tableaux vivants d’une réelle grandeur, des costumes éblouissants, un orchestre plein d’entrain et surtout une remarquable équipe de jeunes chanteurs, au travail depuis plusieurs mois.
Layla Claire, voix limpide, très joliment colorée dans l’aigu, trouve dans Sandrina son premier vrai grand rôle d’opéra en Europe; elle y est tout simplement délicieuse, remarquablement investie dans son personnage aux multiples facettes, très à l’aise vocalement malgré les difficultés d’une partition exigeante qu’elle domine avec panache. Sabine Devieilhe en Serpetta est très bien distribuée également : sa voix légère et pointue, son jeu de comédienne accomplie, son caractère effronté trouvent ici un emploi idéal. Tout aussi satisfaisante, l’Arminda de Ana Maria Labin, dans un registre plus ample, fonctionne très bien également. Seule Julie Robard-Gendre dans le rôle ambigu de Don Ramiro, gênée par un problème de santé – elle n’a pu participer à toutes les répétitions – et ne disposant pas de tous ses moyens vocaux le soir de la première, a paru en dessous du niveau.
Du côté des hommes, légère déception pour le rôle de Belmonte, tenu par le jeune ténor Julian Prégardien, dont la voix, pas encore tout à fait centrée, bouge beaucoup mais porte peu. Scéniquement, en revanche, il a des allures de grand seigneur et joue avec aisance d’un physique avantageux. Le Podestà de Colin Balzer, très maniéré (est-ce une demande de la mise en scène ?) disperse un peu son énergie, tandis que John Chest en Nardo, dans un rôle beaucoup plus simple à aborder, montre un talent prometteur.
Dans la fosse, la direction sèche et froide d’Andreas Spering, tranche avec l’ardeur et l’enthousiasme de ses musiciens.