L’idée était amusante : faire de Falstaff un coq se pavanant au milieu de sa basse-cour, en conflit avec d’autres coqs, et entouré de poules et autres volatiles, de deux chats et d’un âne. On retrouvait ainsi un personnage parlant à toutes les génération, du Chantecler d’Edmond Rostand à Rock-O-Rico de Don Bluth, en passant par l’irrésistible Charlie le Coq (Foghorn Leghorn en version originale) de Robert McKimson. Malheureusement, comme l’a bien noté Elisabeth Bouillon (voir son compte rendu des représentations de 2010 à Monte Carlo), les personnages shakespeariens reprennent vite le dessus sur les animaux zoomorphes. D’autant que la mise en scène de Jean-Louis Grinda manque de précision et de dirigisme, notamment en ce qui concerne la connivence entre les commères, souvent trop éparpillées sur scène, et dans la scène finale où Ford ne peut pas ne pas reconnaître Bardolfo aux côtés de Cajus, ni sa fille près de Fenton ! Les grands livres de Rudy Sabounghi, qui se déplacent au gré de l’action tout en précisant les lieux ne sont pas quelque chose de nouveau, mais permettent des changements de décor très rapides. Les magnifiques costumes d’animaux de Jorge Jara ne sont guère plus nouveaux (on se souvient des Peines de cœur d’une chatte anglaise par le Groupe TSE), mais il manque ici les masques, peut-être difficilement compatibles avec l’art lyrique. Donc les décors et les costumes, aussi originaux et beaux soient-ils, ne suffisent pas à recentrer le propos.
Côté musical, Falstaff est loin d’être une partition facile. Depuis Toscanini, celle-ci est néanmoins plutôt bien défendue par des chefs et des orchestres aguerris, qui en général répètent le temps qu’il faut pour arriver à un bon niveau de rapidité, de légèreté et de mise en place. Ce soir, malgré les efforts et la qualité de direction de Roberto Rizzi-Brignoli, les décalages entre la fosse et le plateau sont fréquents, et l’humour musical aérien et pétillant de Verdi n’est pas toujours parfaitement rendu. On a l’impression, tant sur le plateau que dans la fosse, qu’il manque une bonne semaine de répétitions.
Depuis la création du spectacle, la distribution a été entièrement modifiée, à l’exception de la titulaire du rôle de Nannetta. Or il s’agit certainement là de la seule erreur d’attribution de rôle : le physique et la voix – au demeurant excellents – de Valérie Condoluci sont ceux d’une soubrette d’opérette viennoise, mais pas de Nannetta. Une remarque un peu similaire peut s’appliquer à Gilles Ragon, à qui on pourrait préférer un plus fort ténor pour le rôle de Cajus, mais dont la prestation est néanmoins excellente. Le couple des Ford (Armando Noguera et Isabelle Cals) est quant à lui en tous points remarquable : le premier entraîne la gens masculine avec assurance, et distille l’air de la jalousie du deuxième acte dans la grande tradition ; la seconde est une parfaite commère, aussi à l’aise dans les trilles que dans le legato, et jouant le rôle avec brio, accompagnée d’une Mrs Quickly de qualité (Elodie Mechain) et d’une Meg un peu effacée vocalement (Marie Lenormand). Le Fenton de Julien Dran est tout d’un bloc mais bien chanté, et Bardolfo et Pistola (Carl Ghazarossian et Eric Martin-Bonnet) assurent correctement leur rôle. Reste le Falstaff d’Olivier Grand. Il a certainement les moyens du rôle, mais est loin d’en avoir fouillé tous les recoins psychologiques. Son interprétation vocale, parfois trop puissante par rapport à celle de certains de ses partenaires, est plutôt monolithique et manque de finesse, de rondeur et de demi-teintes. L’air du début du troisième acte est tout à fait révélateur de la difficulté qu’a l’interprète à aborder la grande déclamation lyrique, et à rendre la profonde humanité du personnage. Et l’on regrette par ailleurs quelques défauts de justesse et des approximations dans les ensembles. Certainement une prise de rôle qui aurait demandé un peu plus de maturation.