Le Grand Macabre, qualifié d’anti-anti-opéra par Ligeti lui-même, s’inscrit parfaitement dans la programmation du Komische Oper de Berlin dont la direction artistique est placée sous la houlette de Barrie Kosky qui en signe également la mise en scène.
Avec le concours de Peter Corrigan pour les décors et les costumes, on retrouve dans ce spectacle le même univers artistique coloré, loufoque et paillard qui représente la marque de fabrique de cette maison d’opéra.
Mais pour l’heure ce n’est pas trahir l’esprit du Grand Macabre que de mettre au défi les chanteurs d’adopter un jeu égrillard pour lesquels certains semblent avoir des prédispositions… On retrouve ainsi Jens Larsen incarnant un Astradamors prompt à présenter son fondement alors qu’il se pavanait déjà nu sur scène en Sénèque dans Poppée de Monteverdi.
Au fil des tableaux qui illustrent cette fable plus lubrique qu’amoureuse sur fond de fin du monde annoncée, Barrie Kosky, en apôtre du marquis de Sade, s’en donne à cœur joie pour passer consciencieusement en revue le catalogue des perversions sexuelles de ses semblables : Travestissement, onanisme, sodomie et sadomasochisme bien sûr, mais aussi des pratiques plus sophistiquées – scatologie, urolagnie, cannibalisme et nécrophilie – que le texte du livret suffisamment flou et que l’intrigue assez farfelue peuvent laisser imaginer.
Le message épicurien contenu dans l’œuvre autorise l’élargissement des champs d’investigation en suggérant des pratiques toujours plus extrêmes pour conduire au plaisir. Ainsi le personnage de Gepopo, chef de la police secrète, incarné par la soprano colorature Eir Inderhaug aux aigus clairs et pincés, est présenté en manchot tandis que ses sbires, tous plus ou moins amputés, estropiés ou culs-de-jatte, invitent à d’autres jeux.
Bref, les postérieurs se dénudent, les accouplements sont plus que suggérés mais les performances vocales demeurent. Le prince Go-Go interprété par le contre-ténor Andrew Watts fait un triomphe en projetant puissamment une voix de tête sans la moindre défaillance. Piet vom Fass joué par Chris Merritt se taille également un franc succès en modulant subtilement ses interventions pour en accentuer la musicalité. Le duo des amants, incarnés par Julia Giebel et Annelie Sophie Müller, à qui reviennent les passages les plus lyriques de l’opéra, est d’une gracieuse légèreté. En revanche, le personnage de Nekrotzar est trahi par Claudio Otelli dont la voix trop légère et peu sonore ne rend pas justice à la noirceur du Grand Macabre. Les autres rôles, souvent plus proches de la déclamation que du chant, sont remarquablement interprétés tant par un jeu théâtral incarné que par une présence sonore percutante.
L’écriture explosive et syncopée de la partition, tout en mettant les chanteurs à rude épreuve, reste parfaitement compréhensible tandis que, dans la fosse, le recours aux klaxons, sonnettes et autres trouvailles est traité avec précision par Baldur Brönnimann. La mélodie qui s’en élève s’installe dans des ritournelles aussitôt interrompues sans chercher à ménager une quelconque transition. Les références relevées par les musicologues (Monteverdi, Verdi, Beethoven) sont justes esquissées si bien que de tenter de les identifier relève d’une gageure.