Avec Ernani , cinquième opéra de Verdi créé en 1842, s’ouvre une ère nouvelle dans le cheminement musical du compositeur. L’œuvre impose des forces dramatiques inédites qui ne vont cesser de s’affirmer dans tous les opéras ultérieurs du Maître de Busseto. Et Les typologies vocales verdiennes se dessinent déjà ici avec netteté, Ernani préfigure incontestablement Macbeth, Don Carlo », Le Trouvère ou encore La Force du Destin de par le panache vocal des cabalettes, l’intensité du drame allant crescendo, et la vaillance de ses chœurs. Et c’est précisément sur les desseins dramatiques de l’œuvre qu’il a été mis l’accent dans le concert de ce soir au Théatre des Champs Elysées, par une direction survitaminée et une puissance de feu des chœurs.
Egalement présenté à l’Auditorium de Lyon mercredi soir, cet Ernani avait de quoi d’emblée capter le regard, par la présence notamment de Francesco Meli dans la distribution, qui s’est imposé, à Marseille notamment, comme un Ernani de référence. On attendait donc Meli et, au final, c’est non pas une voix masculine mais un trio au cœur vaillant qui s’est distingué. Irrésistible par sa posture et sa générosité vocale, Francesco Meli campe un héroïque Ernani. Cultivant l’art consommé des nuances dans un souci constant de la ligne vocale, le ténor italien possède un instrument qui se coule avec aisance dans le répertoire verdien de cette période. Mais, la révélation, ou plutôt la confirmation de cette soirée, est sans nul doute Amartuvshin Enkhbat qui s’était déjà fait remarquer en Nabucco sur la scène de l’auditorium de Lyon l’année dernière. La voix est puissante, d’une parfaite homogénéité sur toute la tessiture, d’une grande musicalité qui fait écho à un certain Renato Bruson, mais avec une plus grande aisance dans l’aigu. Sa prestance naturelle lui permet d’interpréter un Don Carlos d’une grande noblesse qui en impose sans histrionisme. Les acclamations dont l’a gratifié le public du Théâtre des Champs-Elysées à la fin du spectacle, étaient amplement méritées. La troisième voix masculine est celle de Roberto Tagliavini, qui distille dans cette prise de rôle toute la profondeur et l’élégance qu’on lui connaît. La recherche de la nuance, des couleurs, davantage que la puissance, fait de son interprétation de Don Ruy Gomez de Silva un modèle d’intériorité des émotions. La basse italienne possède un timbre homogène aux couleurs chaudes et un grave profond qui fait de son incarnation une approche extrêmement subtile de son personnage.
Côté féminin, en revanche, Carmen Giannattasio peine à convaincre en Elvira. Si elle se distingue d’emblée par un registre grave aux couleurs pénétrantes qui suscite l’émotion, elle tend en revanche à se réfugier dans les cris pour les notes les plus hautes, l’obligeant à détimbrer dès la cabalette d’entrée. Et même si elle se reprendra par la suite, donnant une belle prestation dans les ensembles, son entrée en demi-teintes laissera une empreinte négative qui lui vaudra au final les réactions désapprobatrices de quelques spectateurs. Les seconds rôles tirent quant à eux bien mieux leur épingle du jeu. Le Riccardo de Kaëlig Boché a fière allure, le baryton-basse Matthew Buswell interprète Jago avec panache et Margot Genet, en Giovanna, complète avec talent le plateau vocal avec une belle voix cristalline.
Les chœurs de l’Opéra de Lyon donnent leur pleine puissance pour habiter cette partition verdienne pleine de fougue et puissamment lyrique. Dans une gestuelle expressive et une posture bondissante sur l’estrade, Daniele Rustioni tente d’exploiter au mieux les belles ressources de l’orchestre national de Lyon et notamment la brillance de ses cuivres. Mais cette débauche d’énergie finit par être contreproductive, et la force vivifiante de l’opulence musicale verdienne se perd in fine dans les effets superfétatoires d’une emphase inutile. Heureusement il reste le vaillant trio masculin, et c’est dans le cœur des hommes que cet Ernani a puisé ce soir sa force.