Il aura fallu attendre 2008 pour que La fiancée vendue soit autorisée à entrer au répertoire de l’Opéra National de Paris. Il était temps que ce fleuron de la musique tchèque ait droit de cité dans cette institution, aux côtés de Rusalka (Dvorak), ou de Katia Kabanova (Janacek), écrites par deux célèbres disciples de Smetana. On comprend mal d’ailleurs pourquoi Gérard Mortier a choisi de programmer La petite renarde rusée, idylle forestière et panthéiste de Janacek, sur la scène trop vaste de la Bastille, alors qu’il eut été plus justifié de lui réserver le Palais Garnier, réquisitionné au même moment par La fiancée vendue.
Comédie de genre, créée à Prague en 1866, La fiancée vendue est le second des huit opéras composés par Smetana et le plus joué devant Dalibor et Libuse. A partir d’une intrigue inspirée de thèmes populaires et traditionnels propres à la culture sentimentale paysanne – Marenka aime Jenik, mais est promise à Vasek, qu’elle refuse et parvient à ne par épouser après maintes rebondissements – Smetana a conçu une partition pimpante et pleine de charme, qui puise dans le folklore de son pays et touche par la simplicité de ses accents, la sincérité de son langage et sa piquante naïveté. Les questions de l’identité, des racines et des classes sociales inscrites en filigrane et chères à ses contemporains, expliquent en partie les raisons de la notoriété de ce musicien, contraint cependant à s’exiler loin de Praque, pendant de nombreuses années.
Artiste sensible et respectueux des textes, Gilbert Deflo a réalisé un spectacle en accord avec l’imagerie populaire prônée par Smetana et son librettiste Karel Sabina. Couleurs acidulées, bicoques stylisées et fête foraine, ce décor unique constitue un facétieux contrepoint à ce mini drame paysan. Replié sur lui-même, ce village perdu est comme Marenka, fiancée vendue (pour son bien) par celui qu’elle aime, en effervescence, la présence d’un cirque ambulant ayant pour effet de libérer les esprits et de desserrer les carcans. A un jeu résolument sobre, répondent de délicieuses danses au folklore revisité, dues au chorégraphe Micha van Hoecke, parfaitement intégrées à une succession de tableaux volontairement naïfs et tendres.
Jiri Belohlavek, entendu en ces lieux dans Rusalka (Robert Carsen) et Juliette ou la clé des songes de Martinu (Richard Jones), dirige avec une grande finesse et une tonicité communicative la musique de Smetana, dont il exhale les coloris et établit la cohérence. Dans le rôle-titre, Christiane Oelze est satisfaisante, même si sa voix ne possède ni signe distinctif, ni volume ; sa Marenka un peu gauche, est bien une fille de campagne qui aspire au bonheur et refuse de s’en laisser compter. Son amoureux, le frêle ténor Ales Briscein, met du temps à se chauffer, chante court et faux tout le premier acte, avant de se ressaisir au dernier, fier de la supercherie et du succès remporté par son personnage. Franz Hawlata n’a certes plus l’assurance vocale qu’on lui a connu, mais il compose un truculent Kecal, l’entremetteur, dont les débordements ne sont pas sans rappeler ceux d’un certain Baron Ochs (du Rosenkavalier de Strauss). Christoph Homberger campe avec un plaisir évident le bègue et ridicule Vasek, aux côtés d’Helene Schneiderman (Hata) et de Stefan Kocan (Micha). Passons rapidement sur l’état vocal alarmant de Pippa Longworth (Ludmila) et d’Oleg Bryjak (Krusina), pour féliciter la remarquable prestation des chœurs de l’Opéra, très sollicités.
Une entrée plutôt réussie.