C’est un enchantement renouvelé : Fine-Oreille et ses tournesols sont de retour à Lyon, dans la mise en scène qu’André Engel avait imaginée en 2000 pour la scène de l’Opéra de la capitale des Gaules. Reprise au Théâtre des Champs-Élysées en 2002, adaptée pour l’Opéra Bastille en 2008 où elle a été donnée à nouveau en 2010, cette production de La Petite Renarde rusée est devenue quasiment un classique, sans rien perdre de sa fraîcheur. C’est une fresque naïve et colorée où l’apparente simplicité est gage de profondeur : les décors de Nicky Rieti et les costumes d’Elisabeth Neumuller opèrent une habile transposition des vignettes animalières de Stanislas Lolek qui ont inspiré Janáček. En assimilant astucieusement l’univers de Bystrouška la Renarde à un champ de tournesols – ces fleurs aux mouvements énigmatiques dont l’une a pour l’Instituteur les yeux de la belle Terynka –, le metteur en scène utilise un motif du livret qui prend force symbolique et illustre visuellement la course du soleil à laquelle tous sont soumis et que le compositeur exprime dans sa musique. De manière complémentaire, le chemin de fer assure la continuité de la circulation des êtres et des animaux, chemin de vie et de mort, lieu de l’éternel retour. Ajoutons que l’évidence paisible de cette ligne claire (comme on le dit du 9e art) permet d’être pleinement réceptif à la subtilité et au chatoiement de la musique de Janáček.
L’Orchestre de l’Opéra de Lyon, placé sous la direction du jeune chef tchèque Tomáš Hanus, est d’une expressivité remarquable dans l’interprétation de cette composition qui suggère le frémissement des multiples formes de vie de la forêt, l’écoulement du temps, le rythme des saisons, la nostalgie de l’instant qui passe, avec de forts effets de contraste sonore. La distribution est à la hauteur : la soprano Ilse Eerens est une Renarde à la voix souple, au timbre clair, et qui joue à la perfection dans les registres variés qu’exige un rôle protéiforme. Les échanges avec le chien Lapák (Dorothea Spilger) sont savoureux, tout autant que son discours d’appel à la rébellion auprès des poules. Le duo amoureux avec le Renard – interprété avec talent par la mezzo-soprano Angélique Noldus –, est un grand moment de la soirée, qui émeut par son profond lyrisme teinté d’humour. Les enfants de la Maîtrise sont tous excellents, et leur présence scénique est d’une grande justesse de ton. Le solide baryton Vladimir Samsonov prête au personnage du Garde-forestier une voix sonore et le caractère bourru requis par le texte, tandis que l’Instituteur incarné par le ténor Wynne Evans sait feindre de manière convaincante, tant dans le chant que dans la gestuelle, la timidité et la gaucherie qui doivent le caractériser. Les parallélismes entre animaux et humains sont mis en évidence par les prestations de la soprano Jeannette Fischer qui incarne à la fois la femme du Garde-forestier et la Chouette, et la basse Piotr Micinski qui est le Curé et le Blaireau, tout en soulignant les contrastes entre chant humain et chant animal. Avec finesse, le baryton Károly Szemerédy, interprétant le vendeur de volaille Harašta, donne à entendre tout ce qui l’apparente au personnage de Bystrouška la Renarde (ruse, chance, marginalité, contestation…), mais aussi tout ce qui distingue ici l’homme de l’animal. Le chœur qui ponctue la scène – haute en couleurs – du mariage de la Petite Renarde et de son Renard par le Pivert (Célia Roussel-Barber) au milieu des animaux de la forêt est particulièrement intense et résonne longtemps dans l’oreille.
L’ensemble est admirablement servi par les belles lumières d’André Diot, tandis que le rideau de scène, entre les actes, propose une reprise des motifs visuels principaux sous forme de fresque, créant une continuité visuelle qu’interrompent seulement les fondus au noir du rideau séparant les tableaux. Il y a là une dimension cinématographique qui nous semble rendre justice au mouvement des images musicales, au rythme de la musique mais aussi aux intentions de Janáček qui déclarait : « ce sera un opéra autant qu’une pantomime ».
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