Difficile exercice que celui d’équilibrer les trois composants d’un opéra tel que Salomé : un orchestre qui transporte, un plateau qui convainc, une scénographie qui suggère…
La partition de Richard Strauss sous la baguette de Roland Böer se révèle claire et sonore. Les accentuations, les forte, les effets orientalistes et autres soubresauts de l’orchestre font des merveilles. Mais la puissance de l’ensemble – peut-être accentuée par l’espace plutôt restreint de la salle du Komische Oper de Berlin – est telle qu’elle ne permet pas à certains chanteurs de se faire correctement entendre.
Si le Jochanaan de Tómas Tómasson incarne, de loin, la performance la plus réussie : sa voix profonde et puissante aux riches harmoniques lui donne une consistance incomparable – pour lui, nul besoin de surjouer pour camper son personnage – et si Christoph Späth et Christiane Oertel s’en sortent honorablement dans l’interprétation tant d’un Hérode halluciné et obsédé que d’une Hérodias acariâtre et castratrice, en tenant leur ligne de chant respectivement tendue et brutale, tel n’est pas le cas de la Salomé d’Annette Seiltgen qui n’a décidément pas la voix du rôle. Cette mezzo-soprano lyrique ne parvient pas à projeter sa voix – ni dans les moments les plus mordants de sa partition, ni dans le confort du médium ou du grave – qui reste extrêmement confidentielle. Elle ne semble retrouver une relative aisance d’émission que dans les passages les plus lyriques aux lignes mélodiques douces, notamment pendant la scène finale.
La mise en scène de Thilo Reinhardt, alliant un décor de palais en carton suggérant une façade grossièrement esquissée en noir et blanc à des personnages vêtus de couleurs voyantes, nous transporte dans l’univers onirique de la bande dessinée, voire – en raison de son trait parfois vulgaire et outré – de la B.D. pour adultes…
La violence, la brutalité et la sexualité contenues dans le livret ainsi que la musique parfois lascive de Richard Strauss encouragent une telle approche. On peut simplement regretter ici que Thilo Reinhardt ne puisse distinguer la sensualité de la luxure, faire la part entre séduction et déballage.
L’épisode de la danse des sept voiles se résume donc à une succession de tableaux sur un plateau devenu carrousel, nous livrant des scènes de fantasmes aussi dégradants que blasphématoires, mais finalement bien banaux : Scène de bacchanale entre juifs et Nazaréens en slip, Christ en croix tantôt empalé sur un godemiché géant, tantôt chevauché par des répliques lubriques de Salomé ou d’Hérodias, fillette vraisemblablement victime d’un pédophile pendue sous le porche du palais… Les seuls éléments orientalistes de la mise en scène nous sont dévoilés furtivement au détour du carrousel : ici, un écran de télévision diffusant le portrait d’Oussama Ben Laden (en alternance avec une séquence de film pornographique légèrement floue), là, une femme en treillis agitant des cimeterres, une autre en niqab (s’arrêtant néanmoins au-dessus du genou) brandissant un fusil-mitrailleur… Images d’Epinal digne de couverture des romans de SAS.
Quant à la liberté de mise en scène consistant à faire de nos héroïnes fille et mère, les meurtrières respectives de Narraboth et de saint Jean-Baptiste, cela dépasse désormais de stade du fantasme pour tomber dans celui de la psychanalyse. Un monde peuplé de femmes hystériques et criminelles dont les hommes plus sensés qu’instinctifs en seraient les victimes.