Cet Elias aurait pu être une reprise quasi à l’identique du concert donné en 2012 à La Chaise-Dieu. C’était compter sans les impondérables de toutes sortes, qui en ont fait le concert de toutes les annulations. Comme pour Les Contes d’Hoffmann, et pour la même raison, Sabine Devieilhe n’en serait pas, on le savait depuis longtemps. Et voilà que « Suite à des raisons de santé » (sic), Marianne Crebassa renonçait elle aussi au concert, et cédait sa place à Anaïk Morel. Quant à Maïlys de Villoutreys, étant retenue en Asie, cette artiste serait également absente. Parmi les dames initialement à l’affiche, seule Julia Kleiter avait donc survécu à l’hécatombe ; rien de changé chez les messieurs, en revanche.
Cela dit, quand bien même la divine Sabine eût été présente ce soir-là, sa participation aurait-elle été la même qu’il y a quatre ans ? Devenue entre-temps une star nationale, la Devieilhe de 2016 n’est plus tout à fait la Devieilhe de 2012, et l’on ne peut que s’interroger sur le rôle qui aurait été le sien cette fois. Notre rossignol français aurait-il revendiqué l’air destiné à Jenny Lind, le rossignol suédois ? On ne le saura jamais.
Là où il est permis de supposer une autre différence par rapport à 2012, c’est qu’un 5 décembre à Paris n’est pas tout à fait comparable à un 29 août en Auvergne : froidure quasi-hivernale oblige, quinteux et catarrheux n’ont donc pas manqué de déverser leur phlegme par tombereaux entiers dès que quelques instants de silence s’offraient à eux. Et comme par un fait exprès, ces plages où chanteurs et instruments se taisaient furent particulièrement nombreuses. Rares furent les morceaux enchaînés, les solistes assis à cour et à jardin devant traverser la scène pour venir prendre place devant leur pupitre, au doux son des toux et crachouillis divers. On souhaite donc bon courage aux ingénieurs du son qui auront à nettoyer l’enregistrement de cette soirée.
Heureusement, entre les raclements de gorge du public, la musique aura triomphé, avec une superbe exécution d’Elias. Comme à La Chaise-Dieu, Stéphane Degout s’impose dans le rôle-titre, avec une interprétation dont on soulignera d’abord la profonde humanité qu’il confère au prophète, sans oublier l’aisance dont il fait preuve d’un bout à l’autre d’une tessiture assez large. Comme à La Chaise-Dieu toujours, Raphaël Pichon dirige une exécution très enlevée de la partition de Mendelssohn. L’ensemble Pygmalion livre une prestation digne d’admiration, surtout le chœur, autre pilier essentiel de l’œuvre : tous les pupitres en sont impeccables, conciliant à merveille expressivité et pure beauté du son.
Quant aux nouveaux venus, ils s’intègrent parfaitement à l’équipe. Notre collègue Claude Jottrand avait trouvé le ténor britannique Robin Tritschler « particulièrement poétique » dans Les Sept Dernières Paroles du Christ, nous l’avons trouvé particulièrement mozartien dans Elias, de style comme de timbre, et l’on espère le réentendre bientôt dans un rôle plus étoffé. Mozartienne, Julia Kleiter l’est tout autant, même si elle aborde depuis peu certains personnages wagnériens : elle témoigne ici de la même aisance dans la relative véhémence de la veuve de Sarepta que dans la douceur sublime de l’air « Höre, Israel », avec de magnifiques pianissimis. Quant à notre compatriote Anaïk Morel, sa carrière qui se déroule en majeure partie en terres germanophones lui permet de chanter l’allemand comme elle respire, mais nous donne des regrets de ne pas pouvoir applaudir plus souvent dans son pays natal une artiste capable, en plus de ses diverses interventions, de nous faire frémir dans les quelques minutes où elle parvient en trois phrases à incarner une redoutable Jézabel. Angéliques à souhait, enfin, Marie-Frédérique Girod, Judith Fa et Lucile Richardot : avec de tels éléments, comment s’étonner que le chœur Pygmalion atteigne des sommets ?