En remplaçant Christoph von Dohnanyi, souffrant, par Thomas Hengelbrock, l’Orchestre de Paris a infligé un cinglant démenti aux idées reçues voulant qu’une doublure soit forcément une copie, censément pâle. Entre le chef prévu, membre éminent de la confrérie des grands chefs postromantiques, et le chef venu, héritier spirituel de Nikolaus Harnoncourt ou de John Eliot Gardiner, on eut énumérer les différences – d’influences, de répertoire, partant de philosophie : quand le petit-fils d’Ernst von Dohnanyi entend le grand répertoire comme une porte ouverte sur la musique contemporaine, le chef associé de l’Orchestre de Paris l’entend comme un dialogue avec les figures perpétuellement tutélaires que sont Bach ou Schütz.
Voilà, du moins, pour la théorie ; dans la pratique, qu’avons-nous eu ? Un concert qui, dès le concerto K 482 de Mozart donné en première partie, assume les contrastes sans les surligner, sait être dynamique sans être brutal ; les cordes et les percussions ont bien un peu de la sécheresse claironnante, l’harmonie, un peu de la verdeur, auxquelles nous ont habitué les formations sur instruments d’époque dans ce répertoire, mais le style, l’esprit, l’allant, la régularité rythmique aussi, regardent presque ostensiblement vers les souvenirs de Böhm ou de Krips. Le piano sans fioritures d’Emanuel Ax s’y retrouve, qui ose un deuxième mouvement où les hésitations et les langueurs s’expriment sans compromettre l’équilibre général – dommage qu’en bis, le deuxième Impromptu de l’opus 142 de Schubert se soit un peu précipité.
Même forme de classicisme rayonnant et serein après l’entracte, ce qui va bien à ce Requiem Allemand que Brahms a voulu consolateur et humaniste. Même « Denn alles Fleisch, es ist wie Gras » refuse d’être terrifiant : Hengelbrock y impose aux choristes une netteté, une articulation certes implacables, mais jamais sentencieuses. Cette même clarté, dans la fugue du mouvement suivant, qui donna tant de mal à Brahms qu’il eut recours aux conseils de son maître Marxsen pour en venir à bout, fait merveille : l’étagement parfait des plans sonores, la symétrie des équilibres, l’architecture rigoureuse de l’ensemble signalent un chœur à son meilleur, soutenu par un orchestre sans reproche.
Si courtes soient-elles, les parties solistes du Requiem Allemand sont ardues. Déjà appréciée in loco en Peri, Christiane Karg a la longueur de souffle, la qualité de la ligne et la brillante élocution qu’il faut pour faire de « Ihr habt nun Traurigkeit » le cœur battant de l’œuvre. Et Michael Nagy, voix bien projetée depuis le fond de la scène, montre les qualités d’un Liedersänger qu’on attend maintenant dans le Faust Schumannien ; car moins qu’un Requiem, c’est ce soir un oratorio, une cantate profane qui a été jouée, avec pour principe et pour seul Dieu la lisibilité et la clarté de la musique.