Insaisissable Diana Damrau qui, au cours des six derniers mois, a faussé compagnie à trois reprises aux mélomanes viennois. La première fois, en janvier, c’était déjà au Staatsoper, quand son récital en compagnie du harpiste Xavier de Maistre avait été déprogrammé. La deuxième fois, c’était en mai, l’annulation de son concert à deux voix avec Nicolas Testé au Konzerthaus. Et en juin, de nouveau au Staatsoper, à l’occasion des Lucia épilogues de la saison 2012-2013, dans une valse-hésitation à décourager toute tentative de commentaire : initialement, la soprano allemande devait renoncer aux deux premières représentations, les 20 et 24 juin, afin de se ménager pour les deux dernières, les 27 et 30. Elle effectua son retour plus tôt que prévu, le 24, avant de jeter définitivement l’éponge : une grossesse nécessite à l’évidence davantage de repos que n’en dispense l’agenda éreintant d’une diva. Ayant encore en tête les représentations parisiennes d’I Capuleti en 2008, illuminées par une Anna Netrebko de toute évidence déjà fort avancée dans la nature illicite de ses relations avec Roméo, on se réjouissait d’applaudir de nouveau une héroïne romantique enceinte, un état qui a au moins le mérite de justifier un tant soi peu les lourdes récriminations dont ne manquent pas de se fendre les proches parents de la protagoniste.
Adieu, renversement post-moderne des codes de notre bel canto romantique ! Avec Brenda Rae, retour dans le droit chemin de la tradition : la silhouette, d’une élégance gracile, la voix, virtuose mais intrinsèquement et doublement affectée, d’un vibrato serré qui fait sonner son suraigu comme celui de Licia Albanese (souvenez-vous…) et d’un timbre dont le sucre et le sourire aplanissent les aspérités du personnage, n’empêchent pas sa composition, touchante de sincérité, d’être chaleureusement accueillie. Mais elles la privent, à coup sûr, de la matière dramatique et des urgences fulgurantes qu’ont su aller chercher les plus belles interprètes du rôle. Le spectacle de Boleslaw Barlog n’est pas pour y changer grand-chose, qui offre à voir, depuis la fin des années 1970 et au bout de 150 et quelques représentations, des décors et des costumes tellement traditionnels que leur décoratif tutoie le carnavalesque, gothique de façade qui ne s’autorise pas une once d’infidélité à l’esprit de Walter Scott ou d’Ann Radcliffe, ni malheureusement la moindre distanciation face à toute la part de superficiel qui caractérise leur esthétique. Eijiro Kai, à la puissance quelque peu monolithique ce soir, et Sorin Coliban, dont on se dit qu’il fait très jeune pour son âge avant de s’apercevoir qu’il s’agit au contraire d’un chanteur dans la force de l’âge flanqué d’une voix de vétéran, ne sont pas à même de sortir la soirée d’une routine sur laquelle Piotr Beczala tranche avec un succès d’autant plus éclatant : Edgardo fougueux et sanguin mais dénué de l’arrogance péremptoire qui peut vite transformer les jeunes premiers en caricatures, le polonais déroule les splendides inflexions de son beau ténor lyrique, aux intonations toujours très contrôlées mais aux élans indéniablement enflammés, sans que la beauté de son chant rencontre le moindre obstacle. Lucia di Lammermoor, aurait pu, pour cette fois, être rebaptisée Edgardo di Ravenswood. L’événement est tel qu’on en oublierait de mentionner Guillermo Garcia Calvo, lequel avait pourtant fort à faire à la tête d’un orchestre qui, à l’évidence, n’a plus répété son Donizetti depuis le décès de Maria Callas : ce soir, c’était avant tout pour le primo divo !
Version recommandée
Donizetti: Lucia di Lammermoor | Gaetano Donizetti par London Symphony Orchestra