Charles Sigel avait ici même – Les bonnes intentions font-elles un bon disque ? – dit tout ce qu’on pouvait penser du dernier disque de la mezzo américaine, Joyce DiDonato, évoquant la grande tournée destinée à promouvoir le disque et le projet Eden qui le sous-tend.
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Projet explicité par la chanteuse elle-même :
« Je vous invite à me rejoindre pour une soirée célébrant la majesté, la puissance et le mystère de la Nature à travers le pouvoir transformateur de la musique. Avec ce vaste programme que j’ai élaboré, je vous invite à revenir à nos racines et à explorer si nous nous connectons aussi profondément que possible à l’essence pure de notre être, pour créer un nouvel EDEN de l’intérieur et planter des graines d’espoir pour le futur.
Je serai rejointe par mes célèbres partenaires musicaux de longue date, les musiciens de l’orchestre Il Pomo d’Oro.
Pour m’assurer que l’expérience EDEN continuera de grandir en dehors de la salle de concert, chaque membre du public recevra des graines à planter tandis que je vous demanderai : « En cette période de bouleversements, quelle graine allez-vous planter aujourd’hui ? »
Les spectateurs nombreux – le théâtre semble presque plein – trouvent sur leur siège une petite pochette en carton à l’effigie de la chanteuse, qui contient deux graines, dont une de lavande (on n’a pas compris l’autre, le français de Mme DiDonato s’avérant plus qu’approximatif !). Nous serons donc invités à les planter pour « régénérer » le monde, rien de moins.
Après avoir assisté à l’une des étapes de cette tournée mercredi soir au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, on pose à son tour la question : Les bons sentiments font-ils un bon récital ?
À l’américaine
Ce n’est donc pas à un récital classique qu’on assiste. Au centre de la scène un podium noir en forme de disque, des tubes métalliques circulaires dont il manque un élément, qu’un peu plus tard on verra la chanteuse brandir comme une épée, un drapeau sans fanion (?). Les musiciens de Il Pomo d’Oro sont disposés de part et d’autre se faisant face.
Le concert commence – à l’heure ! – dans le noir. Un mince filet de lumière éclaire le premier violon. La première œuvre au programme (cf. le disque) est la Question sans réponse (The Unanswered Question) de Charles Ives. À la place de la trompette qui normalement scande et interrompt le tapis des cordes, on entend à quatre reprises – du second balcon au parterre, quelques notes d’une silhouette qu’on distingue à peine. Petits soucis de justesse.
Puis Joyce DiDonato gagne la scène et ce podium central où elle va successivement se dresser vers le ciel, s’asseoir, s’agenouiller, se coucher face contre terre, selon les pièces inscrites à son programme. La « mise en espace » de Marie Lambert-Le Bihan, les lumières de John Torres, donnent l’illusion d’un show comme sur Broadway, une sorte de « récital pour les nuls ». Les gestes, les postures de l’interprète, l’environnement lumineux, plutôt sommaire, appuient la démonstration : Eden ce sont les joies et les douleurs de la vie.
La performance est du côté de la chanteuse. Présente quasiment sans interruption sur le plateau, passant sans effort apparent des douceurs suaves de Rachel Portland aux furies de Mysliveček ou de Gluck (Enzo), plus inégale dans Mahler. Si les moirures de la voix font merveille dans Ich atmet’ einen linden Duft, on s’attendrait dans le dernier des Rückert-Lieder, le bouleversant Ich bin der Welt abhanden gekommen à une retenue, à une voix moins somptueuse, comme émaciée. Broutilles que tout cela; Dans les Mahler, on a la surprise, finalement agréable, de voir le théorbe de l’ensemble Il pomo d’oro prendre la place de la harpe.
La chanteuse revient plusieurs fois sur scène, longuement applaudie par un public conquis. Elle fait généreusement saluer ses compagnes et compagnons d’aventure, Zefira Valova et les musiciens d’Il Pomo d’Oro. Et prend la parole (cf.supra). Nous annonce une surprise : la présence du chœur d’enfants Sotto Voce dont on n’a pas bien compris où et quand Joyce DiDonato avait pris le temps de travailler avec eux. Mais, après la mort au monde (Mahler) qui concluait le récital, les deux chansons qui vont suivre redonnent de l’optimisme. La spontanéité de la surprise est parfaitement réglée et les bons sentiments affluent.
Joyce DiDonato et le choeur Sotto Voce (photo JPR)
En réponse à ces « cadeaux », ces messages d’espoir des enfants, Joyce DiDonato leur et nous offre un « Ombra mai fu » de toute beauté.