Éblouissante synthèse musicale et théâtrale créée par Monteverdi, Orfeo, ce presque « premier » opéra peut être mis en scène aujourd’hui de manières très différentes. Ce soir, loin de la reconstitution historique ou de la transposition hasardeuse, la représentation touche au contraire par son côté contemporain et par le naturel de tous les interprètes. A l’opposé de la production « audacieuse, voire incongrue » de la récente production de Christophe Rousset et Claus Guth présentée à Nancy (voir le compte rendu de Brigitte Cormier), et de celle non moins récente de Leonardo García Alarcón et Laurent Brethome à Saint-Etienne (voir le compte rendu plus mitigé de Laurent Bury), cette reprise de ce spectacle créé dans les années 2011-2012 par Les Nouveaux Caractères (ensemble né il y a 8 ans et basé dans la région lyonnaise), se justifie pleinement, car il est peut-être paradoxalement, dans sa simplicité, le plus fidèle aux intentions du compositeur. Ici, pas de machines, pas de lourds décors, pas de trappes, pas de chichis : un double praticable en arc de cercle conçu par Adeline Caron traverse la scène, prolongé en hauteur par un tulle permettant des jeux d’ombre et de transparence. La mise en scène de Caroline Mutel, sobre et mesurée, correspondant parfaitement à l’époque de l’écriture de l’œuvre sans vouloir jouer le pastiche passéiste. C’est donc une production sans artifices, sans effets, tout en nuances, et qui va à l’essentiel : l’émotion. Cela démontre une fois de plus que, sans de très gros moyens, et sans chercher à choquer le bourgeois, l’honnêteté paie : un triomphe.
Merveilleusement dirigés par Sébastien d’Hérin (également au clavecin), les douze excellents instrumentistes, sobrement costumés par Adeline Caron et Marie Koch dans des camaïeux de beige, se mêlent avec bonheur aux chanteurs. L’orchestre, disposé sur scène, participe ainsi parfois à l’action, et l’union du chant et des instruments en est d’autant plus parfaite. A d’autres moments, des instruments passent en coulisse et répondent à ceux qui sont sur scène, comme si le son venait de l’autre rive, si difficile à atteindre. Les ensembles madrigaux sont particulièrement bien réglés, et la mise en scène sait se faire discrète quand c’est à la musique et au chant de briller. On peut ainsi jouir sans restriction des belles sonorités instrumentales tout au long de la soirée, et tout particulièrement au début du troisième acte.
Kevin Greenlaw (en remplacement de Jean-Sébastien Bou originellement annoncé), a été récemment un excellent Sam dans Trouble in Tahiti de Leonard Bernstein, ce qui montre l’éclectisme de ses prises de rôle. Il est ce soir un exceptionnel Orfeo, par son naturel et ses qualités vocales. Particulièrement émouvant dans son adieu à la terre, ou encore dans « avec vous toujours je pleurerai », il est aussi convaincant dans les moments plus joyeux que dans le drame. Sa voix n’étant pas trop légère, le personnage en est d’autant plus virilement affirmé. Du côté des dames, on n’a plus à vanter les qualités de Virginie Pochon, magnifique Euridice, dont elle excelle à exprimer les sentiments partagés.
Le reste de la troupe, qui campe des personnages bien individualisés et caractérisés, est composé d’excellents chanteurs, parmi lesquels on distingue tout particulièrement le beau contre-ténor Théophile Alexandre dans le rôle de l’Espérance. Caroline Mutel (la Musique), introduit solidement le propos de sa belle ligne de chant. Sarah Jouffroy (Proserpine) et Jérôme Varnier (Pluton) forment un couple théâtralement et musicalement très réussi, et la belle voix de Hjördis Thebault est particulièrement bien adaptée au rôle de la Messagère, que l’on a trop tendance à distribuer, à tort, à des voix plus légères.