Nous avions été ébloui par la mise en scène de Claus Guth pour Tristan und Isolde donné ici même l’automne dernier (cf. notre compte-rendu). Vision éblouissante d’intelligence, de profondeur et de maîtrise du grand œuvre wagnérien.
C’est donc plein d’espoir que nous venions retrouver ce metteur en scène passionnant pour cette nouvelle production de Parsifal créée à Barcelone en février dernier (mais avec une distribution différente). L’éblouissement ne fut pas aussi intense que pour Tristan mais le questionnement de l’œuvre, l’originalité de la vision et le principe scénographique (une scène tournante remarquablement gérée) nous ont tout de même comblé.
Comme pour Tristan, l’action est transposée et Guth rajoute une histoire à l’histoire. Durant la fin du Prélude, on voit ainsi, dans une maison renfermant le Graal et la Sainte Lance, un père montrant nettement sa préférence à l’un de ses deux fils. Le délaissé, furieux, quitte la maison familiale. On comprend rapidement que les deux fils sont Amfortas et Klingsor tandis que leur père est Titurel (chez Wagner, seul Amfortas est le fils de Titurel). Klingsor, qui prend ses distances, aura, par vengeance, volé la Sainte Lance.
La suite de l’action se déroule en pleine guerre (visiblement en 14-18), dans un hôpital défraîchi où défilent des soldats blessés… sans doute par les combats contre Klingsor. Amfortas est l’un d’eux tandis que Gurnemanz est un prêtre veillant sur ses ouailles.
On pourra trouver que cette intrigue affadit la portée spirituelle sinon religieuse de l’opéra wagnérien qui pourrait ainsi sembler être ramené à une histoire de famille. Pourtant, cette deuxième histoire est si finement et si parfaitement réglée qu’elle ne parasite que bien peu le livret de l’opéra. Les conflits entre Amfortas et Klingsor deviennent même plus concrets et la figure du père, Titurel, plus prégnante. Par contre, Kundry est toujours une marionnette de Klingsor et Parsifal un innocent qui se métamorphose à la fin de l’ouvrage en officier nazi : la figure du rédempteur, devenue ainsi inquiétante, nous ramène à un cadre temporel très défini. Ce n’est pourtant pas cette image qui marque le plus la fin de l’ouvrage mais celle de la réconciliation entre Amfortas et Klingsor, évoquée avec des gestes d’une grande pudeur.
Toute cette deuxième histoire s’articule par le biais d’une très bonne direction d’acteurs et d’un superbe décor à deux niveaux (reliés par un immense escalier) divisé en trois espaces dont chacun apparaît au gré des mouvements de la scène tournante. Les transformations de tel ou tel espace permettent de varier encore davantage les ambiances (la réception chez Klingsor, très années folles – avec une Kundry-Rita Hayworth -, la verdure qui envahit le plateau au troisième acte, etc.). Un travail tout à fait fascinant donc. Tout le monde n’aura cependant pas apprécié : le metteur en scène est accueilli de manière très partagée par le public.
Il en est exactement de même avec Daniele Gatti qui subit huées et acclamations quasiment à parts égales. Pour notre part, nous avons trouvé sa direction tout à fait remarquable. Le travail sur la sonorité et sur les nuances (magiques pianissimi) est, notamment, excellent. Sa direction extrêmement soignée, privilégie la finesse au souffle dramatique, ce qui peut, certes, donner l’impression d’un manque d’ampleur et par là même déranger. Les tempi restent plutôt lents.
L’orchestre et les chœurs de l’Opernhaus sont superbes mais on doit déplorer, comme la veille dans De la maison des morts de Janacek, le manque de caractère et d’impact des timbales. Les cloches choisies pour les interludes des actes I et III sont en outre étranges puisque mélangeant de manière assez peu heureuse carillon tubulaire et gongs thaïlandais, qui plus est, placés en coulisses et non en fosse. On regrette aussi que les chœurs féminins soient placés, pour les actes I et III, non pas en hauteur dans la cage de scène comme il le faudrait, mais dans les couloirs entourant la salle au niveau des premier et deuxième balcons. Ainsi, pour les spectateurs desdits balcons, surtout ceux du deuxième, le son ne devient pas de plus en plus éloigné comme cela était pensé par Wagner, mais au contraire de plus en plus proche… L’avantage est cependant d’être baigné quasiment à 360 degrés par la musique, ce qui est un plaisir rare.
La distribution, de haut vol, est dominée par Thomas Hampson et Matti Salminen.
Le baryton américain montre dorénavant quelques signes de fatigue mais la netteté de la prononciation, la tenue de la ligne, l’investissement du chanteur rendent son incarnation toujours aussi intense.
Les années semblent avoir moins de prise sur le toujours aussi phénoménal Matti Salminen. A l’égal de son Roi Marke l’automne dernier, son Gurnemanz nous a paru grandiose. Prononciation, soutien, présence lui valent un triomphe au rideau.
Nous avions beaucoup apprécié Stuart Skelton lorsqu’il avait remplacé au pied levé Klaus Florian Vogt pour le Lohengrin de Baden-Baden en 2006. En cinq ans, le chanteur confirme la bonne impression d’alors. Même si le timbre n’est pas le plus séduisant qui soit, le ténor affiche une égalité sur tous les registres, une puissance non négligeable et une maîtrise de son chant qui lui permettent de faire forte impression.
Yvonne Naef est assez emballante de prime abord puis finit par lasser. Chant trop monocorde ? Manque de finesse ? Aigus à l’arraché ? On s’interroge… Le Klingsor solide d’Egils Silins et le Titurel peu subtil de Pavel Daniluk complètent cette très belle affiche.