Crimes et … chatouillements !
Cauchemar de berceuses
Robert Schumann
Hochländsiches
Wiegenlied op. 25 /14
Muttertraum op. 40 / 2
Ballade von Haideknaben (Hebbel) op. 122 / 1
Benjamin Britten
A Charm op. 41/4
Francis Poulenc
Berceuse
L’Amour à vendre
Francis Poulenc
Allons plus vite !
Cole Porter
Love for Sale
Two Little Babes in the Wood
Samuel Barber
Promiscuity
Benjamin Britten
Underneath
the Abject Willow
Châtiment
Gabriel Fauré
Prison
Reynaldo Hahn
D’une prison
Robert Schumann
Der Soldat op. 40 / 2
Drogues et homicides
Camille Saint-Saëns
Tournoiement, op. 26 / 6
Tom Lehrer
The Old Dope Peddler
The Irish Ballad
Richard Rodgers
To Keep my Love Alive
Four Cautionary Tales and a Moral
Lisa Lehmann
Rebecca, Jim, Matilda, Henry King,
Charles Augustus Fortescue
Dame Felicity Lott, soprano
Ann Murray, mezzo-soprano
Graham Johnson, piano
Auditorium d’Orsay, le 10 juin 2010
Drôles de dames
L’Auditorium d’Orsay n’est pas une salle comme les autres. En premier lieu, sa taille (347 places seulement) en fait la dernière « petite » salle accueillant régulièrement de « grands » artistes (un rôle autrefois dévolu aux «Lundis de l’Athénée ») : et on ne dira jamais assez le bonheur et l’enchantement de pouvoir goûter à un récital dans ce cadre véritablement intimiste où le bois des parois renvoie idéalement un son parfait. Cette proximité avec les artistes, nous ne pouvons pas y songer dans des « usines » comme Pleyel ou même le Théâtre des Champs-Elysées. Seconde originalité : la programmation, axée sur la période artistique couverte par le musée, est généralement en correspondance avec les expositions qui s’y tiennent. Il fallait une généreuse dose d’imagination aux organisateurs et aux interprètes pour proposer ces « Crimes et chatouillements » qui répondent à l’exposition « Crimes et châtiments » deux étages au dessus.
Résultat : une soirée magique, subtil mélange de comique et de tragique, où les deux artistes, tour ou en duo, interprètent avec grâce et finesse un programme décliné en cinq parties : cauchemars de l’enfance (dramatiques avec Schumann, drolatiques avec Britten et Poulenc) ; prostitution (avec en particulier des mélodies amèrement drôles de Cole Porter) ; châtiment (avec deux versions du « Ciel est par-dessus le toit »), drogues (avec notamment un Tournoiement de Saint-Saëns, décidément très libéral en matière de drogues dures puisqu’on lui devra 2 ans plus tard La Princesse Jaune, un opéra-comique opiacé ; et trois mélodies particulièrement hilarantes de Tom Lehrer et
Richard Rodgers) ; et enfin châtiments autour d’un cycle « moral » de Lisa Lehmann. 2 bis viendront conclure cette soirée, fort opportunément enregistrée.
Il serait fastidieux d’entrer dans le détail de chacune de ces mélodies. L’essentiel, c’est l’art intact des deux cantatrices, leur complicité, cette impression de décontraction élégante qui cache un travail colossal sur les textes, cette versatilité qui sait illustrer tour à tour la mélancolie comme l’humour noir. Vocalement, après un ou deux morceaux pour se chauffer, les deux artistes se sont révélées en grande forme, surtout quand on songe à la longévité de leurs carrières respectives. Timbre chaud et belle diction pour Ann Murray (moins compréhensible en français), legato intact et aigus percutants pour Dame Felicity Lott. On notera que le soprano chante plutôt la ligne basse dans les duos avec le mezzo, ce qui contribue à homogénéiser leurs ensembles.
Graham Johnson assure un accompagnement efficace, compensant une technique parfois mise à l’épreuve dans les passages virtuoses, par un humour bonhomme et discret.
Seul bémol : le programme de salle offert aux spectateurs est une excellente initiative car nous ne sommes pas tous nés trilingues : mais que de bruit à chaque page tournée ! Offrez-vous vite un écran plat et ce sera une raison de plus d’accourir à votre prochaine saison.
Placido Carrerotti