Cette reprise par le Deutsche Oper de Berlin de son Tristan und Isolde dans la mise en scène de 2011, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Wagner, fait tâche dans le paysage des programmations nationales résolument tourné vers des créations.
Quels autres motifs invoquer pour expliquer des rangs aussi clairsemés ? L’horaire de la représentation pour un jour de semaine ? Une saturation de Wagner due à l’abondance des offres ? La réticence du public pour une mise en scène contemporaine finalement trop sage ?
Graham Vick nous invite à partager sa vision de l’épopée de Tristan et Yseult en la transposant dans le cadre d’un appartement (décors et costumes signés Paul Brown) où va se jouer le drame intimiste de l’infidélité conjugale. Bien sûr, il s’autorise des libertés de scénographie par rapport au texte. Le chœur des marins prend ici la forme d’une équipe d’ouvriers venus effectuer quelques réparations. Le philtre d’amour ne se boit plus, il s’injecte en intraveineuse comme une dose d’héroïne. De la présence océane, il ne reste que les assauts de l’orchestre qui, tels les lames de la mer d’Irlande, viennent briser leurs vagues de musique enchanteresses sur des chanteurs imperturbables. A cet égard, la direction de Donald Runnicles est limpide. Grâce à un tempo particulièrement lent, il apporte toute la lumière sur l’orchestration : les harpes émettent des sons cristallins parfaitement audibles dans un déchaînement de forces instrumentales toujours maîtrisées, les montées chromatiques sont dosées avec un soin extrême tandis que la justesse d’exécution de la partition du cor anglais par Chloé Payot mérite d’être remarquée.
Mais comme souvent, à vouloir trop en faire, le résultat est mitigé. En effet, pourquoi vouloir absolument maintenir le combat à l’épée entre Tristan et Melot à la fin de l’acte II, alors que le parti pris à l’acte III est de retrouver nos héros mourant, l’un de Parkinson, l’autre de vieillesse et de chagrin, lors de retrouvailles manquées dans un appartement défraîchi ? De même, l’intervention de quelques éléments, qui ont pour but de relier la mise en scène au fil de l’histoire originelle, alourdissent finalement l’ensemble. Est-il nécessaire de planter des menhirs dans le salon pour comprendre qu’il s’agit d’une affaire celtique ? Utiliser le cercueil du premier amour d’Isolde tué par Tristan comme table de salon est décidement moins commun qu’une simple urne de cendres sur le manteau de la cheminée ! L’intervention d’un couple complètement dénudé est-elle nécessaire pour rappeler la pureté des sentiments qui animent nos héros ? Enfin, qu’apporte le déplacement incessant d’un drôle de lustre qui frôle dangereusement les artistes ?
Par leurs jeux, complètement extérieurs aux éléments qui les entourent, les chanteurs réussissent à nous transporter dans la féerie de la légende et à nous extraire de cet appartement déprimant et agité de trop nombreux va-et-vient de figurants. Stephen Gould (Tristan), en dépit d’une prononciation parfois approximative, est doté d’aigus tranchants redoutables mais d’un médium trop confidentiel pour rendre son interprétation inoubliable. Au contraire, Violeta Urmana (Isolde), en véritable soprano dramatique, nous régale d’un grave puissant et sombre tandis que ses aigus, quoique sonores, sont trop ouverts pour être percutants. Les prestations d’Hans-Peter König (le roi Marke) et de Samuel Youn (Kurwenal) sont impressionnantes vocalement tant par le volume de leur émission que par la couleur de leur chant. La Brangäne de Jane Irwin est également très crédible en confidente de la maîtresse de maison. Ses inflexions angoissées participent grandement à la tension du tableau. Cette distribution de haute volée, complétée par Jörg Schörner en Melot, apporte sa pierre à l’édifice berlinois commémorant cette année Wagner.