Créée à Fribourg en janvier 2012 (voir le compte rendu de Sylvain Angonin), puis reprise l’été dernier au Festival de Saint-Céré, cette production continue à tourner à travers la France. Ceux qui s’attendent à y trouver l’habituel exotisme japonisant sophistiqué et glacé auquel Pizzi et Wilson nous ont habitués seront peut-être déçus. Car Olivier Desbordes a installé sa Butterfly dans un étonnant décor post-tsunami de Ruth Gross, banlieue sordide aux lampadaires blafards, maison à moitié détruite dont la carcasse ne tient que par miracle, planches instables sur des pierres pour défier l’acqua alta… Pas de cerisier en fleurs, les saisons passent, immuables, sur ce décor sinistre où les seules touches de couleurs sont apportées par quelques coquelicots poussés on ne sait comment dans cette fange, et par des costumes aux couleurs vives créant un étrange décalage.
Pourquoi est-on frappé dès le début par cette vision d’apocalypse ? On connaît l’histoire par cœur, on l’a vue cent fois dans des reconstitutions ethnologiques d’un Japon du début du siècle passé. Ce soir, rien de tel, et pourtant cet environnement sordide nous touche tout autant et peut-être plus. La réponse est une fois de plus dans le travail théâtral d’Olivier Desbordes : jeu affiné des interprètes, mise en situation des personnages (excellente et humaine Suzuki d’Hermine Huguenel cousant sur une Singer à pédalier), simplicité d’une interprétation habituellement outrée (Goro d’Eric Vignau), clin d’œil au Mikado de Gilbert et Sullivan au 1er acte, évolution du personnage de Butterfly dans sa maison qui se déstructure un peu plus au fur et à mesure de la destruction de son cœur
Donc, dès le début, « on marche », et le drame que l’on connaît si bien va encore nous surprendre par la rigueur de ses enchaînements et par la violence de ses affrontements. Sandra Lopez de Haro interprète avec beaucoup de naturel cette Cio-Cio-San perdue dans ses rêves, au point d’élever son blondinet de fils à l’américaine (petit costume d’officier de marine, Teddy Bear en peluche, et bien sûr Coca-Cola). La voix est belle, le style est assuré, et même si la puissance ne serait peut-être pas suffisante dans une salle immense, elle convient parfaitement à un théâtre de capacité moyenne. Carlo Guido incarne un Pinkerton perdu lui aussi dans l’inconscience de la facilité du moment, et assure tout à fait vaillamment un rôle qui apparaît souvent beaucoup plus terne. Kristian Paul, Matthieu Toulouse, Yassine Benameur et Flore Boixel complètent parfaitement une distribution d’excellent niveau.
L’orchestre paraît trop sonore et métallique, mais la direction de Dominique Rouits, avec ses outrances, s’adapte plutôt bien au travail scénique. On regrette simplement la faiblesse en nombre des choristes, particulièrement sensible dans le magnifique chœur à bouche fermée, d’autant qu’il est donné depuis les coulisses et donc peu audible. Mais au total une très belle relecture d’un chef d’œuvre un peu trop ressassé.
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