Tout le monde n’est pas obligé d’aimer le Stockhausen des opéras. Avec des livrets qui n’en sont pas, un dispositif scénique parfois vieilli et une musique qui violente les chastes oreilles, l’habitué de Mozart et Verdi est certainement bousculé par une telle expérience. Pourtant, on est forcé de s’incliner devant la capacité de compositeur à composer tout ce qui l’entoure. De la musique, aux décors, aux gestes et à la lumière, chaque élément est constitutif d’une gigantesque composition face à laquelle on demeure dans une admiration interdite.
Reprise de la production de 2018 à l’Opéra Comique, ce Donnerstag était hélas amputé de l’apothéose du III, rendue impossible en contexte de pandémie. On comprend volontiers ces contraintes qui ont dû être un crève-cœur pour l’équipe artistique : la composition de son et de lumière façon Acte préalable scriabinien était vraiment le point de convergence de tout le spectacle.
© Meng Phu
La mise en scène de Benjamin Lazar slalome avec adresse au travers des indications vétilleuses du compositeur, et brosse un portrait du premier acte qui n’est pas sans rappeler Wozzeck. Car ce premier acte de Donnerstag est sans doute la plus personnelle des œuvres de Stockhausen. On y retrouve en filigrane toute la tragédie de son enfance marquée par l’assassinat de sa mère par les nazis et la mort de son père au front.
Damien Bigourdan hérite du rôle ingrat de Michaël, devant incarner un enfant parfois agaçant, sans pouvoir ici transformer l’essai au troisième acte. La voix est pourtant coulée dans un métal noble et brillant, particulièrement mise en valeur dans l’Examen. Pia Davila incarne une mère tourmentée et expressive, mais au timbre clair et puissant. On retrouve avec bonheur Damien Pass, qui, présent à chaque production jusqu’alors, doit maintenant connaître cette musique comme sa poche.
Les réels héros de la soirée, ce sont pourtant les solistes instrumentistes. Le cor de basset d’Iris Zerdoud offre une réplique sensible à la trompette virtuose de Henri Deléger. On ne réalise probablement pas la quantité d’information à assimiler pour interpréter le rôle de Michaël-Trompette, ni le tour de force physique que représente un concerto de cinquante minutes.
Face à une partition calculée jusque dans ses moindres recoins, la direction de Maxime Pascal est toujours aussi investie et musicale. Délaissant le terrain de la précision aseptisée, il convainc les musiciens du Balcon de jouer cette pièce avec la même ferveur qu’un dernier quatuor de Beethoven ou qu’une symphonie de Bruckner.
On attend avec curiosité le prochain volet de ce cycle Licht, le premier à être donné dans son intégralité par une équipe artistique.