Faut-il rebaptiser Théâtre des Italiens le Théâtre des Champs Elysées ? Après Les Capulet et les Montaigu, Oberto, Farnace ou Tosca cette saison, la salle de l’avenue Montaigne nous propose en effet une bouffée de bel canto – bien délaissé par ses voisines parisiennes – en programmant Don Pasquale. Si l’on n’a pas si souvent l’occasion de l’entendre sur scène, cet opéra bouffe fait tout de même partie, avec l’Elixir d’amour, des deux partitions comiques régulièrement reprises de Gaetano Donizetti : l’œuvre était ainsi à l’affiche ici même sous la baguette de Riccardo Muti, en 2009 en version de concert (voir recension) et fait les beaux jours du MET qui y affiche ses plus grandes vedettes, d’Anna Netrebko à Mariusz Kwiecień, en passant par Juan Diego Florez.
Si le Théâtre des Champs Elysées ne peut rivaliser côté prestige, les ingrédients réunis ce soir avaient de quoi faire saliver. Une équipe vocale 100% italienne prometteuse, la fine fleur du Français pour l’aspect visuel et, à la baguette, un chef rompu à ce répertoire. Pourtant le résultat n’est pas tout à fait à la hauteur des espérances.
Avec Denis Podalydès à la mise en scène et Eric Ruf à la scénographie, on s’attendait à des étincelles. On ne croyait pas si bien dire, Don Pasquale étant ici transformé en un détaillant de luminaires (en référence à son caractère illuminé ?) dont la boutique et le logement tiennent dans un vieux « tube » Citroën. C’est d’ailleurs le seul élément de décor, planté au milieu d’un terrain vague. Pourquoi cet environnement désolé, éclairé aux deux premiers actes dans des tonalités verdâtres des plus lugubres ? Drôle d’endroit pour une comédie. Et ce ne sont pas les costumes, signés Christian Lacroix, qui vont du terne pour Ernesto (pull jacquard sans manches marron) au quelque peu vulgaire pour Norina (qui arrive sur scène en corsaire et haut à paillettes), ni quelques gadgets parfois agaçants (quelle est la signification des cornes rouges lumineuses que porte le docteur à la fin de l’acte 2 ?) ni encore certains « gimmicks » éculés (Norina se met évidemment à danser quand elle entonne son air de valse « Via, caro sposino ») qui changent fondamentalement la donne. La direction d’acteur plutôt soignée ne semble pas en cause (Alessandro Corbelli n’est à ce titre pas ménagé, sautant, s’affalant par terre, dansant), pourtant le grain de folie de la partition a du mal à transparaître. Comme l’explique très bien le programme, Don Pasquale est à l’origine un rejeton de la commedia dell’arte : la mécanique comique est parfaitement huilée, avec juste ce qu’il faut de mélancolie pour ménager quelques respirations. Peut-être à force de vouloir trop bien faire, en voulant faire également ressortir le côté tragique du barbon mystifié, en maintenant une agitation constante sur scène avec les interventions des trois employés de Don Pasquale et en multipliant les accessoires, a-t-on finalement oublié l’essentiel, le ton purement et simplement bouffe.
La fantaisie ne se retrouve pas non plus complètement à l’orchestre. Dès l’ouverture on est surpris par les contrastes imprimés par la direction d’Enrique Mazzola, alternant des tempi très retenus avec de brusques accélérations (quitte à bousculer les musiciens et les chanteurs). Malgré tout il échoue à communiquer à l’orchestre National de France le chatoiement des cordes, la vivacité des vents qui siéent à ce répertoire : malgré de louables efforts, la pâte un peu lourde détonne ici.
Côté chant le bilan est également contrasté. On sent que le Don Pasquale d’Alessandro Corbelli a roulé sa bosse. Le timbre sonne bien élimé à son entrée et le chanteur est parfois couvert par l’orchestre. Pourtant, les choses s’arrangent rapidement, la voix retrouvant un peu de brillant et une belle homogénéité jusque dans le grave. C’est justement le bas du registre qui gêne de prime abord le docteur Malatesta (Gabriele Viviani), obligé de truquer quitte à user de parlando. Ce baryton clair fait valoir une belle projection et un chant syllabique rapide bien maîtrisé (le duo ébouriffant « Aspetta, aspetta, cara sposina ») mais ne se dépare jamais d’une certaine raideur de l’émission, confirmant que ses affinités (et son répertoire) lorgnent plus du côté de Verdi que de Rossini.
Les tourtereaux trouvent leur meilleur dans le duo au clair de lune du troisième acte, leurs voix s’appariant à merveille. Francesco Demuro y déploie (de même que dans sa sérénade « Com’è gentil ») une délicatesse et un art raffiné de la mezza voce séduisants. Cela ne peut cependant faire oublier un début de représentation moins flatteur, peut-être dû au stress de la première, où la voix du ténor sarde est apparue assez blanche et ligneuse, particulièrement dans les forte. La Norina de Désirée Rancatore est, elle, peu avare en variations dans l’aigu. On ne s’en plaindrait pas, d’autant que le medium est suffisamment corsé pour ne pas sonner comme un rossignol, si ce n’était certains suraigus bien inconfortables car légèrement vrillés.
Le spectacle aura les honneurs d’une retransmission radio le 15 février et d’une diffusion audiovisuelle sur Arte le 17 février. Gageons que la captation, en effaçant ce que le dispositif scénique a de plus sinistre, pourra faire ressortir le caractère bouffe qui faisait défaut ce soir.