Quelle bonne idée de la part des Arts Florissants que de mettre en écho le très célèbre Dixit Dominus de Haendel avec celui, méconnu, du vénitien Baldassare Galuppi : accompagnés du Kyrie (RV 587) et du Credo (RV 591) de Vivaldi, ils offrent un flamboyant aperçu de la musique sacrée composée à l’attention du public italien par ces trois grands maîtres du baroque.
Voici qu’avec Vivaldi l’ordinaire de la messe – auquel appartiennent le Kyrie et le Credo – nous semble bien extraordinaire : Paul Agnew se saisit à bras le corps de cette musique aussi grandiose que profonde, insufflant dès le Kyrie eleison une attention à la ligne qui ne le quittera pas de toute la soirée. On apprécie la fluidité, les nuances, la densité qu’il obtient du chœur comme de l’orchestre ; on perçoit surtout un sens extrême de la pulsation, comme un mouvement vital qui sous-tend l’ensemble du concert.
Le chef trouve face à lui un chœur qui semble chanter d’une seule voix : la fusion des timbres est totale, et la précision des consonnes en fin de phrase rend l’homogénéité irréprochable. De même, les musiciens de l’orchestre font preuve d’une belle symbiose, autorisant Paul Agnew à développer toute une palette de couleurs : de la grandeur froide du « Credo in unum deum », en passant par la douceur de l’« Et incarnatus est », la lumière d’« et homo factus est » et l’élan acharné de l’« Et resurrexit ». Une entrée en matière retentissante, servie par l’acuité dramaturgique redoutable du compositeur vénitien.
Vivaldi laisse ensuite place à son compatriote Baldassare Galuppi, plus célèbre pour ses opéras que pour ses œuvres religieuses. Mais la redécouverte en 2009 de son Dixit Dominus a mis au jour une pièce remarquable, qui n’a pas à rougir face à son homologue.
Après une introduction détonnante de l’orchestre, la mezzo-soprano Eva Zaïcick – révélation lyrique des Victoires de la Musique il y a un an – puis la soprano Emöke Barath apportent candeur et simplicité avec le « Juravit Dominus » et le « De torrente ». La première possède une voix équilibrée et lumineuse et fait preuve d’une belle sobriété, malgré le caractère dansant de l’air. La seconde fait entendre un très beau timbre, plus sombre, et homogène sur l’ensemble de la tessiture.
Deux solistes de choix, mais un peu en retrait face à un chœur qui trouve une rondeur et une densité de son admirables, tout en sculptant le texte à chaque instant jusqu’au « Amen » final. Les deux chanteuses ne font pas tout à fait preuve du même engagement, et leur retenue ne les laisse pas se démarquer autant qu’elles le devraient : ce sont sans conteste les choristes qui attirent le plus l’oreille, dans une partition qui leur offre la première place.
Mais si réussies soient les premières œuvres présentées, c’est sans aucun doute Haendel qui permet aux musiciens de déployer toutes leurs qualités. Paul Agnew s’y lance avec un tempo vif que seul un orchestre précis peut suivre sans cafouillages, comme pour mieux adoucir ensuite le « Virgam virtutis », véritable moment suspendu, d’une pureté absolue, où Eva Zaïcick dialogue avec le violoncelle solo. Emöke Barath n’est pas en reste dans un très beau « Tecum principium » où la voix se fond au milieu des instruments.
Le chef s’autorise des nuances de plus en plus vastes (quel piano à la fin du « Juravit Dominus » !) et trouve des solistes tout à fait convaincants avec le ténor Clément Debieuvre, la voix éclatante de la basse Cyril Costanzo et la soprano Natasha Schnur, qui fait preuve d’un bel engagement et d’une grande pureté dans le « De torrente ».
On se laisse emporter par les couleurs, les textures, les timbres avec lesquels chacun joue, mais dans une harmonie constante. Et lorsque les Arts Florissants reprennent le premier chœur en guise de bis, on se surprend à penser qu’un troisième Dixit Dominus pourrait terminer la soirée en beauté.