Depuis les représentations du Malade imaginaire au Châtelet en 1990, le couplage Molière-Charpentier n’a guère eu les honneurs de la scène. Quand William Christie avait participé à la reprise du Sicilien, ou l’amour peintre à la Comédie-Française en 2005-2006, couplé avec L’Amour médecin dans une mise en scène de Jean-Marie Villégier, le théâtre était au bien là, les voix un peu moins, mais la musique qu’on entendait était celle de Lully, décidément très doué pour imposer sa production, même plus de trois siècles après sa mort.
Après s’être attaqué aux musiques de Charpentier pour les comédies de Molière lors du festival Musiques à la Chabotterie à l’été 2011, après le disque enregistré dans la foulée et sorti début 2012, Hugo Reyne profite du mois Charpentier à l’Opéra Comique, pour donner à entendre ce versant bien différent du compositeur de David et Jonathas. Mais dans le sillage de la production scénique avec solistes, chœur et orchestre de la tragédie lyrique composée en 1688 pour les jésuites, c’est un concert mis en espace par le chef lui-même que nous sommes conviés ; la différence de moyens mis en œuvre fait écho à la différence de propos. Point d’héroïsme guerrier, point d’Amalécites et de Philistins, mais des coups de bâton et du cocuage, entre Sganarelle et Polichinelle. Et tout comme on apprend dans L’Ecole des femmes que la femme est le potage de l’homme, Hugo Reyne est le potache du baroque. Le programme du concert reprend exactement celui du disque, en y ajoutant la cantate Orphée descendu aux enfers, prise ici comme un hommage à Molière le poète. De même que le disque incluait trois plages de « bêtisier », Hugo Reyne s’amuse beaucoup à commenter le concert en y introduisant des facéties plus ou moins drôles. On goûte néanmoins le bonus spécial Nouvel An durant lequel les solistes de la Simphonie du Marais, en hommage à l’inévitable concert viennois du 1er janvier, interprètent au clavecin, théorbe, viole de gambe et violon baroque la célébrissime Marche de Radetzky. En bis, un trio de Charpentier écrit non pour Molière, mais pour Les Fous divertissants, de Raymond Poisson, première nouveauté représentée par la Comédie Française en novembre 1680.
Par rapport au disque, trois des instrumentistes ont changé, mais les chanteurs sont les mêmes. Le ténor Romain Champion était le héros de l’Atys gravé par Hugo Reyne, et il interprète régulièrement de petits rôles dans des intégrales dirigées par des chefs comme Christophe Rousset, Vincent Dumestre ou Raphaël Pichon. Son timbre correspond parfaitement à cette tessiture, sa diction permet de ne pas perdre un mot du texte (mais son italien est perfectible, car il manque singulièrement de consonnes doubles). Membre de l’Ensemble Clément Janequin, complice de longue date de la Péniche Opéra, mais surtout en tant que compositeur lyrique, Vincent Bouchot est des trois compères celui dont la vis comica est la plus affirmée, comme on le constate notamment lorsqu’il tient le rôle de la Vieille dans l’intermède du Malade imaginaire. Florian Westphal n’est vocalement pas en reste et assure sa part dans ces duos et trios bouffons. Seul manque ici l’intervention d’un véritable metteur en scène, d’un regard authentiquement théâtral qui aurait permis d’éviter les gesticulations convenues et les menus déplacements pompeusement baptisés de « mise en espace » et dont Hugo Reyne a cru bon de se charger lui-même.