L’Opéra de Montpellier débute l’année en fanfare avec cette Flûte Enchantée éminemment festive coproduite avec l’opéra de Nancy-Lorraine.
Anna Bernreitner choisit d’aborder l’œuvre sous l’angle de la féerie, une décision qui régale l’œil mais sabre dans la dimension ésotérique de la partition. Mettre en scène, c’est choisir, certes, mais certainement pas appauvrir, surtout au prix d’une amputation majeure.
Ceci dit, la metteure en scène a l’habileté de faire de la peur le fil rouge de sa proposition. Peurs du serpent, du monde des adultes – celui du Temple –, de l’autorité comme de la désobéissance, du rejet, de l’abandon, de la perte du pouvoir… Cette problématique rassemble, il est vrai, tous les protagonistes de la Flûte Enchantée. Elle place bien l’histoire dans la perspective du « roman » d’apprentissage, résonne également aisément avec les préoccupations du jeune public… mais laisse le mozartien chevronné quelque peu sur sa faim.
De nombreuses trouvailles visuelles de Hannah Oellinger et Manfred Rainer attestent pourtant d’une parfaite compréhension des personnages : Les Trois Dames, par exemple, sont des triplées engoncées dans une triple robe à panier qui ne les empêche pas de se mouvoir avec beaucoup de grâce, associant toute une gestique chorégraphiée à leurs propos. Les timbres de Claire de Sévigné, Cyrielle Ndjiki Nya et Majdouline Zerari se marient à merveille. Leurs chamailleries deviennent particulièrement drôles puisqu’elles sont condamnées physiquement à ne faire qu’une.
© Marc Ginot
Les costumes de l’ensemble de la troupe convoquent la Marie-Antoinette de Sophia Coppola avec leur sublime extravagance, leurs perruques démesurées et leurs teintes pastel. Les interventions des danseurs en animaux (crevette, méduse, morse, papillon et mouton) sont à ce titre un pur régal même si la présence d’animaux marins interroge dans ce contexte sylvestre.
Arrivant sur le plateau en toboggan arc-en-ciel, les trois garçons sont craquants en schtroumpfs à paillettes. Les solistes d’Opéra Junior chantent bien et juste – sauf pour leur dernière intervention – très bien préparés par Laetitia Toulouse.
Il y a également de l’Alice aux pays des Merveilles dans cette scénographie inventive qui oppose la nature illusionniste à l’espace de bayadères abstraites du Temple. Un carrousel permet de découvrir successivement l’infra-monde, la forêt ou le temple, tandis que dans sa tour se lamente une Pamina/Rapunzel qui envoie des SOS en forme de nuages. Des passages entre les trois décors permettent aux personnages de changer de monde et même à la Reine de la Nuit de se réconcilier avec Sarastro dans la dernière scène (quel contresens inutile !).
© Marc Ginot
Tout ces patchworks visuels cohabitent avec fantaisie. Des projections d’éléments de dessins animés ajoutent encore une part cartoonesque à l’ensemble . Ils commentent l’action, donnent à voir les épreuves ou les pouvoirs magiques de la flûte et du carillon. L’idée est excellente, même si la réalisation manque d’élégance et tranche assez brutalement avec le reste de l’univers visuel. Barrie Kosky – dont Anna Bernreitner a été l’assistante – imposait une esthétique bien plus percutante dans sa version de l’Opéra-Comique de 2017.
L’essentiel du plateau lyrique n’est pas francophone, il n’en n’a que plus de mérite dans les passages parlés en français, non surtitrés, puisque très compréhensibles, mention spéciale à Athanasia Zöhrer et Mikhail Timoshenko à l’accent quasi imperceptible.
Le second compose un Papageno magnifique, hilarant de naturel en homme/oiseau (contresens encore avec l’homme à l’état de nature pensé par Mozart), timbre rond et chaud, aux medium brillants , à la parfaite unité des registres. Son duo avec Pamina est un régal tout comme celui avec la délicieuse Papagena de Norma Nahoun – qui expulse les œufs de sa perruque avec une précision diabolique – et dont on ne comprend pas bien pourquoi elle n’apparaît pas d’abord en vieille femme alors que c’est un passage si amusant.
Athanasia Zöhrer incarne une merveilleuse Pamina à l’émission aussi naturelle que puissante, aux aigus limpides jamais appuyés, aux médiums fruités, au legato raffiné. Habillée à la turque d’un pantalon sous sa traine, elle évoque décidément la féministe Blondchen de l’Enlèvement au Sérail, reprenant même le discours de cette dernière « Je suis née pour être libre… ». Encore une fois, pourquoi pas… mais est-ce bien utile ?
Face à elle, Amitai Pati campe un Tamino juvénile aux récitatifs au cordeau, à l’émission haute, riche d’harmoniques moirées, de plus en plus touchant au fil de la soirée.
Rainelle Krause est une impeccable Reine de la nuit aux vocalises parfaitement lisibles et singulièrement émouvante dans son premier air. Le ténor bouffe au timbre clair et à la présence vive de Benoît Rameau s’avère idéal pour Monostatos. En revanche In Sung Sim est à la peine pour trouver la puissance dans les graves de Sarastro mais, très musicien, il ne force jamais et joue du legato et de très beaux mezza voce pour donner de la tendresse à un personnage ici plutôt antipathique.
La direction musicale de Constantin Trinks s’affirme dès l’ouverture comme soucieuse de clarté tout comme de transparence. Il est servi par le bel équilibre des pupitres et les couleurs soyeuses de l’Orchestre National Montpellier Occitanie. Les tempi enlevés participent à l’allégresse générale et le soutien sans faille du plateau se manifeste par des nuances piani permettant aux voix de s’épanouir sans crainte et par des instants de grâce, notamment dans les ensembles.
Enfin, Noëlle Gény obtient le meilleur du Chœur Opéra National Montpellier Occitanie, impliqué, sensible, tout de nuances subtiles.